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moi, parfait ; et il avait, en partant, une avance que je n’ai pas su rattraper. Ensuite, je ne le voyais que loin et mes yeux l’ont perdu. Le voyageur mystérieux que deux hommes avaient rencontré sur le chemin d’Emmaüs prit leur allure de pauvres hommes pour qu’ils pussent le suivre.

Mais, l’intention de M. Vallery-Radot, je la devine. Il ne voulait pas que son héros se fit prêtre par désespoir, après mille malheurs humains et poignans ; il voulait que ce dénouement fût, de progrès en progrès, le triomphe de la joie et de la certitude, et fût l’œuvre de la grâce. Or, est-il rien de plus exactement sublime que l’œuvre de la grâce ?... Seulement, le héros, aux mains de Dieu, m’échappe. Ses mystiques prières vont de lui à Dieu, sans moi. Il songe à une jeune fille qu’il a aimée, et il écrit : « Maintenant que me voici dépouillé du monde, je vis pour toi, ma prière attentive te suit et te garde ; toutes mes souffrances te sont comptées ; je te possède par ce que j’ai de plus pur, par delà les ombres périssables, par delà la mort. » Jacqueline Pascal, ayant pris le voile, écrivait : « Dieu sait que j’aime plus ma sœur, sans comparaison, que je ne faisais lorsque nous étions toutes deux du monde, quoiqu’il me semblât en ce temps que l’on ne pouvait rien ajouter à l’affection que j’avais pour elle. » Eh bien ! cette terrible fille, vouée à Dieu si passionnément, n’a-t-elle pas, dans la phrase, plus d’indulgence et plus d’émoi tremblant que le saint de M. Vallery- Radot ? Je l’aime ; et, lui, je ne parviens qu’à l’admirer.

« Délivrons-nous de l’art même, si l’art nous doit cacher Dieu ! » s’écrie l’homme de désir : mais il écrit un roman. Et je sais bien qu’un roman n’est pas un objet dont la forme soit arrêtée à jamais. — Alors, dira l’auteur de ce livre, mettons que ce n’est point un roman. — Qu’est-ce donc ?... Et, en d’autres termes, il me semble que M. Vallery-Radot n’a point trouvé, pour sa pensée nouvelle, une nouvelle forme littéraire ; il emploie une forme ancienne et qu’un usage imprévu désorganise. Il a son inspiration, qui le place très haut parmi nos écrivains ; mais il n’a pas encore son esthétique : et il lui reste d’inventer son art.


C’est la tentation des penseurs : enchantés de la doctrine, ils dédaignent facilement la frivolité de la littérature. Ont-ils peur, eux aussi, de préférer à ce qui est chanté la voix qui chante ? En l’honneur de Dieu, ou de leur idée, ils dépouillent les beautés de l’art : que ne consacrent-ils plutôt à Dieu, à leur idée, toutes beautés imaginables, voire quelque virtuosité, ainsi que faisaient les peintres anciens ? C’est