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sera blessé mortellement. Du lit où il souffre en attendant l’agonie, à l’hôpital de Casablanca, il écrit : « J’ai été bien heureux pendant les derniers temps de ma vie ! »

Pour dégager le dessein du livre, je l’ai réduit à ses idées. L’on n’en voit plus que le squelette. Mais qu’on veuille en imaginer les idées remuantes et charnues. Admirable récit : chacun des épisodes y est un geste dans la continuité d’une action logique et dramatique. Des péripéties variées et qui se développent avec régularité, sans que rien y soit adventice, de sorte que c’est la substance même du sujet qui se nourrit et qui s’épanouit. Un ordre vivant : et l’auteur a procédé selon sa doctrine morale ; la composition du livre est l’emblème, l’exemple et la preuve de son éthique.

Que de scènes traitées avec la plus forte maîtrise ! Et le pittoresque le plus intelligent, qui nous dépayse et ainsi nous amuse, et qui ne nous déconcerte pas. L’auteur sait nous accoutumer sans retard à des singularités d’âmes et de mœurs qui, nous ayant divertis, engagent notre confiance et ainsi notre intérêt. Il arrive, dans l’originalité surprenante, à l’évidente vérité, qui est le don principal du conteur.

Les sentimens sont délicats et mâles. Le plus moderne émoi revêt ici un caractère cornélien. Que d’énergie dans la douleur et de noblesse dans le pathétique ! Andréas, si réel, et individuel avec une si fière désinvolture, s’agrandit jusqu’au plus magnifique symbole et le plus concluant. Ce garçon qui n’a rien fait de mal, qui pâlit d’avoir été abandonné par ses morts et de n’avoir pas deviné ce que ses morts lui devaient dire, et qui, cherchant sa discipline, arrive à cette extrémité hautaine de se mettre à son rang parmi les soldats de fortune, cet aventurier qui réclame une rude contrainte, et fût-elle arbitraire, incarne tout le malheur de son temps, le désespoir et la dignité, la grande angoisse et décision d’une jeunesse qui a pris au sérieux, qui a pris au tragique les dévastations où flânent encore et vieillissent curieusement quelques joueurs de flûte, les derniers peut-être.


ANDRE BEAUNIER.