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qui vous intéressent spécialement, mais il est extrêmement difficile de décider les puissances ou quelqu’une d’entre elles à intervenir dans une querelle qui ne touche pas absolument ses intérêts. » Et un peu plus loin sir Edward parle de ce qu’a de bizarre une politique qui consiste à partir en guerre pour imposer la paix. La vérité est que, pour un motif ou pour un autre, la politique de non-intervention l’a emporté partout et que l’Europe a laissé une grande liberté aux États balkaniques pour la solution des questions où ils avaient des intérêts supérieurs aux siens. La paix de Bucarest s’est faite ainsi. On dira que ce n’est pas de la grande politique, mais pourquoi l’Europe aurait-elle fait de la grande politique, avec les frais qu’elle comporte, là où elle n’avait pas de grands intérêts ? « Les ambassadeurs, a dit sir Edward Grey, n’ont pas essayé de créer du durable, du logique. Qu’importe ? Ils ont ajourné pour un temps le conflit des ambitions en présence. C’est là le gain net. » Sir Edward, on le voit, ne fait pas valoir son œuvre outre mesure et son apologie consiste seulement à dire qu’on a gagné du temps ; mais n’a-t-on pas dit que le temps était galant homme et qu’il arrangeait bien des choses ? Après tant d’agitations, son action seule peut enfin être apaisante : la guerre et la diplomatie ont donné pour le moment tout ce qu’elles pouvaient donner.

On sait cependant que l’Europe, ayant pour organe la conférence des ambassadeurs à Londres, s’est réservé la solution de deux questions où les intérêts balkaniques n’étaient pas seuls engagés : l’Albanie et les îles de la mer Egée occupées en ce moment par l’Italie. Sir Edward Grey ne pouvait pas manquer d’en parler dans son discours : il l’a fait de manière à donner satisfaction aux deux puissances le plus particulièrement intéressées, l’Autriche et l’Italie.

Il a été bref sur l’Albanie et s’est contenté de dire qu’ « une commission internationale de contrôle doit être établie, en vue d’ériger cette nation en État autonome sous l’autorité d’un prince choisi par les grandes puissances. » Nous plaignons le prince qui sera désigné par les puissances : il est à craindre que son indépendance ne soit qu’une fiction et qu’il n’ait plusieurs patrons très exigeans qui ne seront pas toujours d’accord entre eux. Ils le sont aujourd’hui, parce qu’il s’agit seulement de faire une Albanie aussi grande que possible, au détriment de la Serbie et de la Grèce ; mais qu’ils le soient plus tard, c’est une autre question. On peut les nommer, leurs noms sont sur toutes les lèvres : ce sont l’Autriche et l’Italie, plus alliées que jamais, sans être pour cela plus amies. Mais n’anticipons pas sur les