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couperait les vivres. La Porte ne s’est pas laissé étonner. Elle a regardé autour d’elle et elle a vu qu’aucune puissance n’était disposée à passer de la menace à l’acte : quant à l’infortunée Bulgarie, elle était provisoirement sans force, elle s’apprêtait à désarmer, elle désarmait. D’autre part, l’opinion était très exaltée dans le monde musulman et tout gouvernement qui aurait reculé après avoir miraculeusement obtenu de si précieux avantages, aurait été certainement renversé. Pour ce qui est de l’armée, elle n’obéirait pas. La Porte a calculé adroitement ses chances ; elle a compris ce qu’elle pouvait faire sans soulever autre chose que des protestations, et ce qu’elle ne pouvait pas faire sans s’exposer à des mesures plus graves. Après un moment d’hésitation, elle a déclaré formellement qu’elle n’abandonnerait pas Andrinople, mais qu’elle ne dépasserait pas la Maritza et qu’elle n’avait jamais eu l’intention d’occuper Dedeagath, bien que la population de la ville et même de toute la région l’y appelât pour la garantir des Bulgares. Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas en mesure d’y entrer tout de suite : ils ont fait une démarche auprès des puissances pour qu’elles demandassent aux Grecs d’y rester quelques jours encore, et ce n’est pas là un des traits les moins singuliers de cette situation paradoxale. Quelle sera la suite des événemens, nul ne peut le dire ?

De toutes les puissances, celle qui a pris le plus à cœur de sauver tout ce qui peut encore être sauvé de la cause bulgare, est naturellement la Russie. La Russie n’oublie pas tout ce qu’elle a fait pour la Bulgarie et, comme les bienfaits obligent infiniment plus ceux qui les font que ceux qui les reçoivent, elle se tient pour engagée à aider les Bulgares de toute la force de la politique. En cela elle peut compter sur le concours de la France. Si nous avons incliné à ce que Cavalla appartînt à la Grèce, nous n’avons aucune raison du même ordre pour nous faire désirer qu’Andrinople reste à la Porte. A vrai dire, la question ne nous touche pas directement, mais puisqu’elle touche la Russie, nous n’avons aucune raison de ne pas conformer notre politique à celle de notre alliée. Seulement que pouvons-nous faire et que peut faire la Russie elle-même, décidée comme elle paraît l’être et comme nous le sommes nous-mêmes, à ne pas intervenir militairement ? On a parlé de boycotter la Turquie, de lui refuser tout secours financier, de la réduire par l’inanition. De pareils moyens de coercition ne peuvent réussir que s’ils sont adoptés et pratiqués par toutes les puissances des deux mondes, et c’est une unanimité sur laquelle il serait téméraire de trop compter. La Russie peut employer ce moyen par amour de la Bulgarie et nous pouvons l’employer nous-mêmes