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nature. Les vieilles maisons de Montignac témoignent d’une vie simple, tranquille et assez riche.

La gaieté de la ville, sa vive animation, le point de ses péripéties principales, c’était la rivière, la Vézère jolie et redoutable. Il y a des rivières douces, il y en a de languissantes, il y en a de furieuses. Chacune a son caractère ; et, comme elles sont l’âme remuante des cités, elles donnent au voisinage leur esprit. Montignac n’est pas somnolent. La Vézère y fait une course rapide et preste. Elle a une allure gaillarde. Elle se précipite. L’hiver, affolée des cadeaux que lui jettent les collines, elle déborde. Elle est sinueuse ; elle est coquette ; elle a des caprices de calme et de soudaine frénésie. Elle coupe en deux Montignac, dans le sens de la perpendiculaire. La rive gauche appartenait au diocèse de Sarlat, et la rive droite au diocèse de Périgueux, Du reste, les deux rives se détestaient, ou peu s’en faut. Les gens du diocèse de Sarlat, qui étaient de plus ancienne bourgeoisie, méprisaient leurs voisins de droite ; et il ne se faisait pas de mariages, d’une rive à l’autre.

Mais, quand Joubert avait une douzaine d’années, l’intendant de Guyenne, M. Boutin, riche manufacturier qui employait cent cinquante fileuses, diocésaines de Périgueux et de Sarlat, et qui sans doute avait à pâtir de leurs rivalités natales, eut l’idée de construire un pont. Aussitôt, les deux rives, pouvant communiquer facilement, se connurent mieux, se mêlèrent : et la bonne intelligence régna dans les deux paroisses de Montignac. François de Paule Latapie, en le constatant, s’attriste à observer que nos goûts et nos passions dépendent de petits faits.

Le pont, du côté où vient l’eau, est muni de contreforts pareils à des proues de bateaux. La Vézère y grimpe ; elle s’y fend, passe et galope.

Elle est, par les beaux jours, claire autant qu’un miroir. Elle reflète deux couleurs, celle du ciel et celle des arbres, et les mille nuances des arbres et du ciel. Les arbres sont, aux alentours de Montignac, d’une essence foncée qui a une beauté grave ; des cyprès y dressent leurs fuseaux noirs parmi la verdure inégale des sapins, des chênes et des châtaigniers. Mais, au bord de la rivière, il y a le frisson des peupliers gris et le tremblement argenté des saules. Dans la rivière, après un bout de quai, suite du pont, trempe une troupe de maisons très anciennes, pauvres, qui ont, sous l’auvent, des fenêtres larges, carrées,