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de 1753 à 1769, et ils occupent à peu près toute la jeunesse de Marie-Anne Joubert. Ne faut-il pas ajouter, les années où il ne naît pas d’enfant, les grossesses manquées ? Et quel résumé d’une existence dévouée aux inquiétudes et aux souffrances de la continuelle maternité 1 Après la naissance d’Elie Joubert et avant elle, la série des cinq enfans qui ne vécurent pas indique assez la fatigue de la mère, qui pourtant continue son métier maternel.

Quant à notre Joseph Joubert, il a pour compagnons de ses jeux puérils ses trois sœurs, Catherine, Marie et Louise, ses deux frères, Joseph et puis Elie, mais de huit ans plus jeune. Arnaud et la seconde Marie, beaucoup plus jeunes, arrivèrent au moment de son adolescence où il quitta Montignac pour les Doctrinaires de Toulouse. Ils sont, en somme, six enfans, et de toutes les tailles, à prendre leurs ébats dans la maison grande et restreinte par le nombre des berceaux et des lits qu’on entasse tous les ans davantage, et dans le jardin tout petit. Alors, il faut évidemment qu’on se serre un peu, qu’on se serre de plus en plus ; et il faut qu’on vive, le mieux possible, avec beaucoup d’économie. La maison n’était pas uniquement gaie.

Le 27 mars 1761, sur l’acte de baptême de la seconde Catherine, Jean Joubert est dit « aubergiste. » L’année suivante, à la naissance d’Elie, comme précédemment et comme ensuite, il est « maître-chirurgien. « Sans doute n’a-t-il pas tenu auberge, avec enseigne, dans sa maison de la rue dite du Cheval blanc. Mais, pour subvenir aux besoins de la famille, il dut à l’occasion recevoir des hôtes de passage, prendre pour quelque temps un pensionnaire ou deux : telle était, à la campagne, la simplicité de l’ancien usage. Il n’en gardait pas moins son titre de « bourgeois » et les privilèges de sa profession médicale. En 1778, pendant sa tournée d’inspection, Latapie écrit : « J’ai logé chez le sieur Joubert, qui est fort honnête et au-dessus de son état. »

Jean Joubert prisait assurément l’orgueil d’avoir été chirurgien dans les armées du Roi, d’avoir accompagné les belles troupes élégantes et victorieuses. Il en parlait, le soir, — et non de Françoise Pugnaire, son jeune amour défunt, — mais de l’aventure des camps et des garnisons. Là-dessus, nous avons un témoignage : c’est Elie Joubert qui, plus tard, continuant l’allure paternelle, devint à son tour chirurgien des armées, — non du Roi, mais de l’Empereur, — en Italie, à Piombino,