Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gontier, femme Joubert, de qui j’ai voulu tracer ce fragile portrait, comme celui de l’âme qu’avait préparée à Joseph Joubert la Providence, afin qu’il l’embellit encore par la souffrance, l’amour et la méditation, par l’erreur elle-même et le repentir.


Au mois d’octobre, à la Saint-Luc, il fait encore très beau dans le Sud de la France. Le petit Joseph Joubert fit les deux cent cinquante kilomètres qui séparent Montignac de Toulouse dans la splendeur déroulée d’une nature en or léger. Il vit, de relais en relais, s’agrandir et se multiplier l’idée qu’il avait du monde. Les villages qu’il traversait et les villes qu’il apercevait, Cahors et Montauban, lui annoncèrent que la géographie enseignée par le bon vieil homme de Montignac désignait des réalités.

Puis il arriva dans la ville rose, Toulouse. A peine eut-il le temps de la regarder au passage ; et on l’enferma dans le collège de l’Esquille, sa prison de briques roses.

Le collège de l’Esquille existe encore ; il achève d’exister. Le nom qu’il garde veut dire la cloche (esquilo, en patois). Mais la cloche ne sonne plus les étapes du temps. L’âme de ce beau lieu est morte : on l’a tuée. Après le départ des Doctrinaires, l’Esquille abrita le petit séminaire de Toulouse. Puis l’Etat ne manqua point de chaparder le collège. Il le possède ; il l’a vidé ; il n’en fait absolument rien, ne le soigne pas ; il le laisse avilir, il le laissera tomber en décombres. C’est un jeu de sauvages cupides et gaspilleurs.

Une population de gardiens et de leurs camarades, ceux-ci appelés à l’aubaine, loge dans les coins et les recoins du gracieux monument où le culte des lettres avait son asile savant et calme. L’herbe pousse dans la cour rectangulaire, où vient le soleil jouer sur les murailles roses. La saleté gagne le cloitre rose, ses grandes arcades régulières, son promenoir qui entendit la conversation latine des humanistes en soutane. Elle grimpe le large escalier de pierre ; elle rouille sa rampe de fer. Elle se cache ou bien s’étale dans les chambres, dans les « écoles, » dans les cuisines. C’est un spectacle d’abandon morne et honteux.

Si nous tâchons d’écarter cette laideur nouvelle, le monument a un charme doux et noble. Sa couleur rose de brique