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est la sœur de la solitude. Une telle idée de la vie écarte qui l’a une fois adoptée de cette activité nombreuse qui ordinairement compose l’étoffe d’une existence. Le jeune Joubert, qui ne rêve que d’être parfait, agit avec imprudence. Ses parens l’avertissent ; mais ils n’obtiendront de lui rien du tout. Vieux, ses amis le presseront d’achever son œuvre et de la publier ; il sourira de tant de hâte et répondra : « Quand je serai grand[1] ! » Il n’aura pas imprimé un volume ; il n’aura pas fait de carrière. Il sera, pendant quelques années, par l’amitié de Fontanes et presque par hasard, inspecteur général et conseiller de l’université impériale ; puis, au lendemain du jour où les Bourbons revenus l’auront mis à pied, il inscrira sur son carnet : « Premier jour de la liberté recouvrée[2]. » Et il continuera, plus tranquillement, de lire saint François de Sales, qui est la lecture où il cherche alors ses parures mentales. Il n’aura plus d’autre tâche que celle qui l’a sans relâche requis : le soin de la beauté intérieure.

A cette époque tardive de son âge, il observait assidûment la règle qui s’impose à tout homme singulier : c’est (dit à peu près Renan) de se faire pardonner sa singularité à force de simplicité, de ménagemens et de bonhomie ; il pratiquait la bonhomie comme une vertu sociale.

Mais, à vingt ans, on n’en est pas là. Et, le jeune Joubert, il faut nous le figurer plus cassant, plus vif en son propos, plus fier de sa volonté, peu accommodant.

Bref, dans les derniers temps qu’il passa parmi les siens, à Montignac, n’y eut-il pas quelques scènes où il se montra sublime avec une excessive impétuosité ? Un jour, ses parens lui reprochaient sa générosité prodigue. Il répondit — et, assure- t-il,en propres termes — « qu’il ne vouloit pas que l’âme d’au- cune espèce d’hommes eût de la supériorité sur la sienne ; que c’étoit bien assez que les riches eussent par-dessus lui les avan- tages de la richesse, mais que certes ils n’auroient pas ceux de la générosité. » Il disait « les riches, » sur un ton que l’on devine ; et c’est déjà l’accent des revendications : mais, lui, sa revendication tourne ailleurs que vers la richesse.

Il ne faut douter aucunement de l’épisode. Ce jeune homme qui n’a pas d’autre désir que d’être, — et de le savoir, — plus généreux que les riches est bien le même qui, ensuite, n’accomplissant

  1. J’emprunte ce détail à une lettre qu’adressa, le 12 décembre 1825, un M. Durrans de Tours, à Arnaud Joubert. (Archives de M. Paul du Chayla.)
  2. J’emprunte ce détail à une lettre qu’adressa, le 12 décembre 1825, un M. Durrans de Tours, à Arnaud Joubert. (Archives de M. Paul du Chayla.)