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Hubert n’apparaît point sur le registre corporatif. Qu’a-t-il produit, où a-t-il vécu avant son arrivée à Gand ? Il est né dans la petite ville campinoise de Maesyck, et des travaux récens imposent la conviction qu’il est l’auteur de sept miniatures peintes entre 1415 et 1417 dans les Très belles Heures de Nostre-Dame, manuscrit insigne commencé pour Jean de France, duc de Berry[1]. Quatre de ces feuillets faisaient partie du fragment des Très belles Heures détruit dans l’incendie de la bibliothèque de Turin ; les trois autres décorent le fragment qui appartient au prince Trivulzio. « Ces sept feuillets forment l’ensemble le plus merveilleux qui ait jamais décoré un livre et sont, pour leur époque, l’œuvre la plus stupéfiante que l’histoire de l’art connaisse. » (Hulin de Loo.) Intelligence de la lumière, rendu de la perspective linéaire, effets des ombres sur les clairs, — tout est nouveau et d’une vérité décisive dans les adorables tableaux de genre : Le duc Guillaume de Bavière avec sa suite sur le rivage de la mer du Nord (fragment de Turin), la Naissance de saint Jean-Baptiste (bibliothèque trivulzienne) et l’impressionnante Messe des Morts (id.). Seulement, les figures sont mollement construites et ce défaut n’est atténué que par leur petitesse. C’est la revanche de l’archaïsme. De plus, les étoffes restent fluides et forment des ondes curvilignes comme chez les miniaturistes de l’ancien style. Quatre autres feuillets sont attribués au frère cadet Jean ; cette fois, les étoffes sont pesantes et se brisent en plis rectilignes. Les dernières traces du style parisien illustré par le miniaturiste Pucelle s’évanouissent ; la physionomie du style eyckien s’achève.

Hubert avait-il entamé le Retable de l’Agneau avant de se fixer à Gand ? Le donateur Judocus Vyt aurait repris la commande faite, a-t-on supposé, par Guillaume de Bavière et devenue caduque par la mort de ce prince (1417). Rien d’étonnant à ce qu’un maître réputé s’installât à Gand alors en pleine période de calme et de restauration. En dépit de l’intolérance corporative, — elle allait jusqu’à vouloir interdire aux Gantois l’achat d’œuvres exécutées par des maîtres étrangers à

  1. Robinet d’Étampes, après le duc Jean, scinda le manuscrit, en garda une partie qu’il fit compléter et qui est aujourd’hui la propriété du baron Maurice de Rothschild à Paris. L’acquéreur de l’autre partie fut Guillaume de Bavière, comte de Hainaut et de Hollande, qui à son tour compléta son fragment et le divisa en deux ; l’une des deux parties a péri dans l’incendie de la bibliothèque de Turin, l’autre appartient au prince Trivulzio à Milan.