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vertu de maman Rose ne leur inspire pas une absolue confiance. Le patron Kerhostin est parti pour la grande pêche avec son fils Joël. Cependant on a beaucoup vu rôder par ici un certain Pascalou qui est de ces enjôleurs comme le Midi en envoie pour la perdition des vertus de l’Ouest. Et, depuis quelque temps, maman Rose est toute drôle ; je veux dire qu’elle pleure sans cesse : il y a du malheur dans l’air.

Il y a des malheurs, car ils ne viennent jamais seuls, et nous allons les voir s’accumuler en quelques instans et fondre de concert sur cette demeure infortunée. A peine maman Rose s’est-elle traînée en scène, larmoyante, défaillante et sanglotante, on apporte un berceau. La voisine qui s’était chargée d’élever l’enfant du péché décline cette mission de confiance et restitue le dépôt compromettant. A cette minute précise, on annonce le retour du patron Kerhostin : et vous l’auriez juré ! Affolée par l’annonce de ce retour et par la vue de ce berceau, et sentant sa fin prochaine, maman Rose avoue sa faute à sa fille Yvonne. Elle conjure cette pieuse fille de faire en sorte que le père ignore tout et que rien ne vienne troubler et ternir le souvenir qu’il gardera de l’épouse aimée et qui l’aimait. Confession tragique, serment sacré, mais qui sera difficile à tenir. Alors, rassérénée, elle s’abandonne à la mort libératrice.

Vous vous rappelez l’arrivée d’Hercule dans l’Alceste d’Euripide. Admète a cherché vainement qui veuille mourir pour lui. Il a, sans succès, adressé son étrange requête à ses parens et à toute sorte de vieilles gens. Seule sa jeune épouse a consenti au sacrifice et déjà elle est environnée des ombres de la mort. C’est alors qu’Hercule, qui de son naturel était joyeux et bruyant, fait une entrée de commis voyageur. Ainsi le patron Kerhostin « s’amène, » jurant et pestant parce que nul n’est venu le saluer sur le port. Mais aux coups de gueule du loup de mer ne répond qu’un sourd murmure : on récite les prières des morts.

Voilà de l’émotion. Je serais tenté de trouver qu’on en a trop mis. Le spectacle d’une agonie à la scène n’est pas seulement douloureux, il est pénible. On l’a prolongé comme à plaisir. Cet acte pose nettement la situation, mais en ajoutant encore à ce qu’elle a, par elle-même, d’invraisemblable. Car on devine qu’Yvonne va reprendre à son compte la faute de sa mère et qu’elle fera passer le petit Yvonic pour son enfant. Mais à qui le fera-t-elle croire ? Toute la blanchisserie a remarqué les assiduités de Pascalou auprès de maman Rose. Tout ce qu’il y a de commères dans le pays sait que maman Rose a disparu quelque temps de la maison et qu’Yvonne n’en a pas bougé. Le secret de maman