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une fille perdue, elle ne comprend et n’admet tout de même pas qu’on la traite comme telle, puisqu’elle est non pas seulement vertueuse, mais héroïque. Cela crée entre elle et ses interlocuteurs un malentendu subtil et original. « Tu devrais rougir ! » lui crie son père ; mais elle : « Pas du tout. Et j’ai le droit de porter le front haut ! Et j’en connais peu qui puissent le porter aussi haut que moi ! Et je suis l’honneur de la famille ! » Son fiancé lui demande comment elle a pu oublier ses sermens, leur amour, la foi jurée. « Mais je n’ai rien oublié, proteste-t-elle ; et il n’y a pas de fiancée plus aimante, plus loyale, plus fidèle ! » Héroïque, elle voudrait être traitée en héroïne par ceux-là mêmes que son héroïsme consiste à convaincre de son indignité. C’est une contradiction, ce n’est pas une invraisemblance. C’est absurde et c’est humain. Et de là va sortir le dénouement.

Ce dénouement, je sais à M. Paul Ferrier le plus grand gré de ne l’avoir amené que par des moyens de psychologie. Rien ne lui eût été plus facile que de faire éclater par quelque incident la vérité, sinon aux yeux du père qui doit tout ignorer jusqu’au bout, du moins à ceux du fiancé. Il a voulu que Yan sût la vérité, comme il le devait, mais la découvrît lui-même, par un travail intérieur dont le principe est que, fût-ce devant l’évidence, il ne peut douter d’Yvonne. Donc, de ce côté, tout rentre dans l’ordre. Yan s’associe au pieux mensonge d’Yvonne et prend sa part du sacrifice. Reste le patron Kerhostin. Quelle attitude lui prêter ? Le cas était embarrassant et il me semble bien que l’auteur s’y est en effet embarrassé. Quand il apprend qu’Yan épouse Yvonne et adopte l’enfant, Kerhostin devrait lui ouvrir ses bras et le remercier pour cette solution si élégante qu’il apporte à un problème délicat. Au contraire, il le maudit ! Il maudit sa fille, il maudit son gendre ; il ne s’attendrit que pour ce petit-fils dont il n’est pas le grand-père et qui n’a dans ses veines pas une goutte de son sang ! Pour une fois, la « voix du sang » se trompe... J’aurais voulu que, sans percer le mystère, ce simple eût l’obscure sensation qu’il y a là un mystère et, sans chercher plus loin, rendît à sa fille son estime et son affection, grandies d’un peu d’admiration... Mais, en somme, tout finit bien. Le calme renaîtra dans la blanchisserie Kerhostin. Et, encouragée par l’accueil qu’a fait à Yvonic un public d’été, la Comédie-Française, rentrée chez elle, montrera à son public d’hiver cette pièce émouvante et distinguée.

D’ici là, les acteurs auront eu le temps de repasser leurs rôles qu’ils ne savaient pas encore très bien. Ils pourront aussi atténuer certains effets et en harmoniser certains autres. M. Paul Mounet aura moins