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nous déclancherions la guerre pour le malheur de l’humanité. Quoi qu’il en soit, l’Autriche et l’Italie marchent la main dans la main ; toutefois, par l’effet d’une vieille habitude, elles ne marchent pas sans heurts ni sans soubresauts, et leurs mains se donnent mutuellement des saccades quelque peu violentes. C’est ce qui vient d’arriver à propos d’une affaire médiocre en elle-même et qui n’a d’ailleurs aucune corrélation avec les questions balkaniques. L’incident de Trieste a mis en rumeur toute la presse italienne : elle en a presque oublié, pendant quelques jours, de parler de nous.

On sait que Trieste est une des parties visées par l’irrédentisme italien, et même la partie principale parmi celles que détient l’Autriche. Il y a là une colonie italienne considérable, intelligente, laborieuse et qui, en vertu de ces qualités mêmes, prend une part importante aux affaires ambiantes. Les Italiens sont nombreux dans celles qui intéressent la vie municipale de Trieste : leur activité s’y exerce d’une manière utile. Mais tout le monde n’en juge pas ainsi, ce qui n’est que trop naturel dans un pays où plusieurs races juxtaposées rivalisent les unes contre les autres et se jalousent. A Trieste, les Slovènes surtout éprouvent ces sentimens contre les Italiens et il en résulte des conflits continuels qui laissent peu de repos aux gouvernemens. Les choses étant ainsi, subitement et sans que rien ait fait prévoir le coup, le prince Hohenlohe, statthalter de Trieste, s’appuyant, paraît-il, sur des lois existantes, de ces lois qui dorment longtemps et qu’on réveille quand on veut, a pris un décret en vertu duquel les nationaux seuls, ou ceux qui se feraient naturaliser dans un bref délai, pourraient être employés à l’administration de la ville. La mesure paraissait générale, mais en fait elle n’atteignait que les Italiens parmi lesquels elle a, comme il fallait s’y attendre, produit une grande émotion.

Comment le prince Hohenlohe a-t-il choisi le moment actuel pour prendre une mesure qui devait jeter une telle perturbation dans les rapports des deux pays ? C’est ce que nous avons peine à comprendre. Jamais ces rapports n’avaient été meilleurs, nous avons dit pourquoi, et jamais non plus il n’y avait eu un plus grand intérêt à les maintenir tels. L’acte du statthalter apparaît donc comme inconsidéré ; on a peine à croire qu’il ait été approuvé à Vienne ; il est plus probable que des influences locales l’ont seules déterminé. Une solidarité très intime existe entre les Italiens de Trieste et les Italiens de la péninsule : qui touche aux premiers met inévitablement les seconds en effervescence. C’est ce qui est toujours arrivé et ce qui est arrivé une fois de