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apparaissant à l’aube des temps, est la preuve la plus ancienne d’une loi de l’histoire qui s’applique à l’histoire elle-même, à savoir que les âges et les pays ont les historiens qu’ils méritent : les grands historiens naissent pour les grands événemens.

Les poèmes d’Homère consacrent le souvenir d’un des épisodes les plus considérables de la vie des peuples, puisqu’ils exposent ce qu’on savait de son temps sur le premier choc entre l’Asie et l’Europe et sur la naissance et la civilisation hellénique. L’Iliade, c’est la grande lutte ; l’Odyssée, c’est la grande découverte. Ainsi la double face des genèses est exposée dans ces poèmes dont la beauté et l’autorité tiennent du miracle. Seule la fraîcheur d’imagination propre aux peuples jeunes pouvait atteindre à cette claire et belle vision et expression des choses ; si belle et si claire que les siècles s’écoulent sans en ternir l’éclat. Que l’on discute sur l’authenticité même des événemens racontés par Homère, qu’avec Hérodote et Thucydide, on accepte d’autres versions, qu’avec Dion Chrysostome, on rejette tout ce qu’Homère raconte du siège de Troie ou, qu’avec les historiens modernes de la Grèce, on refoule Homère lui-même dans la légende mythique, les récits homériques n’en restent pas moins le témoignage le plus extraordinaire sur les anciens âges et le miroir fidèle du premier état de la société grecque, mille ans peut-être avant notre ère.

La religion, les mœurs, les coutumes, les monumens, les costumes, les armemens, la tactique terrestre, la tactique navale, tout ce qui peut intéresser l’homme dans son passé le plus reculé, tout cela est décrit avec un caractère de réalité, de franchise et de simplicité tel qu’on ne peut douter que les choses n’aient été telles quand les poèmes ont été composés.

Et si l’on ajoute que le périple d’Ulysse à travers la Méditerranée achève et complète une sorte de revue des connaissances humaines à cette même époque, si on reconnaît dans ce récit, selon une hypothèse ingénieuse, un portulan ou un résumé mnémotechnique des « guides de la mer, » tels qu’ils étaient en usage parmi les navigateurs hellènes, on admettra que l’aptitude « historique » manifestée, de si bonne heure, par la haute antiquité hellène lui assurait, dès lors, la prééminence sur tous les peuples.

Depuis que ces récits ont été écrits, l’humanité en subit