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des contacts entre l’Asie et l’Europe, il s’agit du difficile ménage de ces deux civilisations rivales qui finirent pourtant, en se rapprochant, par donner naissance à la civilisation méditerranéenne et chrétienne. Mais qui pouvait prévoir cette destinée quand les armées grecques assiégeaient Troie ou quand, des siècles après, Xerxès envahissait l’Attique ? Aujourd’hui que l’esprit humain peut embrasser le cycle, quelle joie n’éprouve-t-il pas à connaître, par un témoin si ancien, le point initial de ces contacts séculaires ?

Hérodote ne manque ni de critique, ni de jugement, ni de bon sens ; mais étant surtout un curieux, il accepte de toutes mains et préfère, à tout, le plaisir de raconter. Il a compris qu’il y a, même dans les plus absurdes légendes, un point de vérité, et dans les croyances, quelles qu’elles soient, un état d’âme qui intéresse l’humanité et l’avenir. Vue très juste. N’ayant ni le temps, ni les moyens de tout contrôler et de peser au poids et à la balance, il fait sa provende, soucieux surtout de ne rien laisser perdre d’un si précieux butin.

Hérodote est le plus amusant des conteurs, bonhomme s’il en fut, parfois lent et radoteur, mais ne perdant jamais de vue ni le sujet, ni l’objet, pèlerin de la légende et rhapsode de la vérité.

Thucydide est, peu s’en faut, le contemporain d’Hérodote : une vingtaine d’années seulement séparent les deux naissances ; on croirait qu’il s’est écoulé entre elles plusieurs siècles. Hérodote est l’ami des antiquités, le moissonneur diligent des traditions et des légendes, se berçant lui-même au rythme de sa narration pérégrine. Thucydide est un athlète courant au but sans délai. On raconte que la vocation du jeune Thucydide fut éveillée par les récits d’Hérodote. Celui-ci les lisait devant les Grecs assemblés aux Jeux olympiques : Thucydide enfant était là et il se mit à pleurer. Hérodote se tourna vers le père et lui dit : « Je te félicite d’avoir un tel fils ; car son âme est avide de savoir. »

Thucydide était Athénien ; il naquit dans un bourg de l’Attique, Halimuse. Son père était riche et appartenait à l’une des familles considérables de la cité ; on dit même qu’il descendait des Pisistratides. Sa naissance, sa fortune, son éducation, ses aptitudes, tout l’appelait à jouer un grand rôle dans les affaires publiques. Comme la plupart des Athéniens de rang