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parlerai d’abord de nos aïeux ; ayant vécu toujours sur la même terre, ils l’ont léguée à leurs successeurs, libre jusqu’à ce jour, grâce à leurs vertus... Nous avons une constitution qui n’emprunte de lois à personne ; plutôt que d’imiter les autres, nous servons nous-mêmes d’exemples... Notre ville est ouverte à tous les peuples : jamais un étranger n’est écarté de nos travaux, de nos plaisirs, de nos spectacles. Nous ne craignons pas les espions, parce que nous comptons sur notre propre vaillance dans les combats. D’autres se font un métier du courage ; il est naturel chez nous, et nous courons, sans contrainte, du repos au combat. Nous sommes élégans avec mesure et sages sans mollesse. En me résumant, je dirai, qu’en général, notre ville est l’école de la Grèce et que chacun des nôtres est propre personnellement à une infinité d’exercices qu’il exécute avec autant de facilité que de grâce... »

Ce discours apologétique est le chant du cygne. Les grands malheurs s’abattent sur la cité. La peste d’Athènes éclate, saccage la ville, l’armée, la flotte. De quel pinceau assombri l’historien exprime ces affreuses journées, les citoyens périssant par milliers, les campagnards réfugiés dans la ville et mourant sans abri, les malades abandonnés, les sépultures violées, le découragement et la démoralisation multipliant les maux causés par la maladie : « Nul ne voulait plus travailler, parce qu’il ignorait si, avant d’avoir achevé son travail, il ne périrait pas. »

Périclès meurt dans le dégoût, la tristesse et la disgrâce populaire ! Mais la guerre continue avec des alternatives de succès et de revers. Presque chaque année, l’Attique est envahie par terre, tandis que la flotte athénienne porte le ravage chez les ennemis. Les trêves, à peine conclues, sont rompues. Les hostilités tantôt violentes, tantôt latentes, ruinent les peuples sans résultat... Les Athéniens font alors, sur le conseil d’Alcibiade, la faute décisive : ils compliquent leurs affaires par la guerre contre Syracuse : le magnifique et touchant épisode de la guerre sicilienne s’intercale dans l’œuvre de Thucydide et lui donne, tout à coup, le ton d’un chant dramatique et lugubre.

L’armée athénienne périt aux Latomies ; Nicias, le général pieux, modéré et faible, est cloué sur la porte des carrières, tandis que, dans les carrières elles-mêmes, râlent les derniers survivans de son armée.