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l’histoire, ces véritables maîtresses du genre humain. La mâle beauté de cet enseignement fait sa pénétration et son autorité. C’est pourquoi il faut que l’histoire soit belle. Thucydide n’a pas seulement dicté des principes, il a gravé, dans la mémoire des hommes, des images éternelles. Sa noble nature intellectuelle et morale était digne de l’histoire et nécessaire à l’histoire. Athènes, dans sa splendeur, pouvait seule former un tel homme, — un homme dont le caractère fut le génie, — et apprendre ainsi au monde ce que doit être l’historien.


S’il est, après la chute d’Athènes, un événement de l’antiquité digne d’être confié éternellement à la mémoire, c’est la substitution de la puissance romaine à la puissance hellénique. Cette évolution capitale de l’histoire a trouvé son historien, Polybe. Polybe, comme Hérodote et comme Thucydide, est un banni ; il trouve l’histoire sur les chemins de l’exil. Mais son exil ne fut pas un séjour sur des terres incultes et barbares : quittant la Grèce décadente, c’est dans la Rome florissante qu’il se réfugia. De ce contraste naît, en lui, l’idée de sa grande histoire.

Polybe était né, entre 210 et 200 avant Jésus-Christ, à Mégalopolis (Arcadie), deux siècles environ après Thucydide. C’était le moment où Rome, délivrée d’Annibal et ayant déjà vaincu Carthage, envoyait T. Q. Flamininus « préparer, au nom de la liberté, l’asservissement de la Grèce. » Polybe, fils de Lycortas, homme considérable, passa son enfance parmi les patriotes qui avaient résolu de combattre jusqu’au dernier souffle pour l’indépendance du pays. Plutarque a raconté qu’aux obsèques de Philopœmen, ce fut le jeune Polybe qui fut chargé de porter, dans une urne, les cendres du dernier des Grecs. Soldat, fils de soldat, élève des derniers grands soldats hellènes, Polybe fut de ceux qui essayèrent de galvaniser la décadence hellénique : mais sa clairvoyance n’était pas dupe des tirades emphatiques ; il conseillait une certaine prudence, une certaine modération qui passa pour suspecte auprès de ces violens qui ne sont, dans tous les temps, que des niais dangereux. Il était vif et susceptible : dans la querelle des partis, il tomba au premier piège qui lui fut tendu. Banni, livré comme otage aux Romains, il resta vingt ans à Rome, devint l’ami de Paul-Emile et de Scipion. Par ses amis.