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odeur de sainteté. Nul doute que ces causeries n’ont pas été perdues pour le futur auteur de les Dieux ont soif.

Celui-ci, à plus d’une reprise, nous a parlé de sa mère, avec un accent de tendre et reconnaissante émotion. Ménagère entendue et active, « très économe » et « très charitable, » il nous a fait entrevoir « la bonté de son âme, — il n’y en eut jamais, ajoute-t-il, de plus belle au monde. » « Ma mère, dit-il ailleurs, était pieuse. Sa piété, — comme elle aimable et sérieuse, — me touchait beaucoup. Ma mère me lisait souvent la Vie des saints, que j’écoutais avec délices et qui remplissait mon âme de surprise et d’amour. » Et elle « inclinait doucement » l’enfant « au culte des images ; » et quoiqu’elle déclarât n’en pas avoir, « elle avait une espèce d’imagination rare et charmante qui ne s’exprimait pas par des phrases, » mais « qui animait et colorait son humble ménage ; » et a fabuliste ingénu, « pour amuser son fils, elle lui faisait des contes sur les images qu’il avait. Pierre Nozière nous a conservé quelques-uns de ces contes ; et peut-être les a-t-il un peu retouchés ; mais le fait est qu’ils sont charmans, et l’on ne saurait nier qu’il avait de qui tenir.

Si les enfans ressemblaient toujours à leurs parens, la Rôtisserie de la reine Pédauque aurait eu quelque chance de ne jamais voir le jour. Mais il arrive assez souvent qu’ils ressemblent surtout à leurs grands-parens, et M. France, qui a tant parlé de lui-même, se devait de nous présenter sa grand’mère : « Grand’maman était frivole ; grand’maman avait une morale facile ; grand’maman n’avait pas plus de piété qu’un oiseau. Il fallait voir le petit œil rond qu’elle nous faisait quand, le dimanche, nous partions, ma mère et moi, pour l’église. Elle souriait du sérieux que ma mère apportait à toutes les affaires de ce monde et de l’autre... Elle avait coutume de dire de moi : Ce sera un autre gaillard que son père... Elle datait du XVIIIe siècle, ma grand’mère. Et il y paraissait bien ! »

Il y paraissait trop, peut-être, pour l’avenir de l’enfant. En attendant, dans ce milieu modeste, parmi « ces humbles et ces simples, » il grandissait, trop choyé et couvé sans doute, comme la plupart des enfans uniques, mêlé de trop bonne heure aux livres, livré sans préparation suffisante aux impressions et aux images qui en sortent. In angello cum libello. Que de fois il nous a parlé « de sa vieille Bible en estampes et du paradis terrestre qu’il admirait dans sa tendre et sage enfance, le soir,