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n’a pas été tendre pour le pauvre « vieux Crottu, » coupable de n’avoir pas su lire aussi bien que Mme Bartet les vers du « divin » Racine, et dont il « déteste la mémoire[1], » ni pour « l’injurieux bossu de corps et d’âme, enclin au mal et le plus injuste des hommes » qui lui expliquait Esope, ni pour le « cuistre, » « le barbacole ignare » qui déchira un beau jour une gravure ornant un vieil exemplaire du Jardin des racines grecques. » Je le vois encore lacérant la jolie estampe de ses doigts lourds et crasseux, et c’est avec une sorte de joie vengeresse qu’après vingt-cinq ans je livre son stupide attentat à l’indignation des gens de goût... » O genus irritabile vatum ! Ce n’est ni vous ni moi qui songerions à vouer, pour un méfait de ce genre, un pauvre diable de régent à l’exécration universelle. Et s’il est bon d’aimer Racine, il n’est pas bon de l’imiter jusque dans sa réponse à Nicole.

M. Anatole France nous a confié qu’ « il travaillait peu pour la gloire et ne brillait guère sur le palmarès. » Et c’est vrai. Il a laissé au vieux collège le souvenir d’un élève timide, réservé, un peu féminin, et dont les succès scolaires ont été modestes ; en six années d’études, cinq nominations au palmarès, dont la plus haute est, en seconde, un second prix de narration française. Dieu nous garde des enfans prodiges ! Neuf fois sur dix, ils tournent mal ou médiocrement, et ils « se nouent » quand les autres se développent. S’il faut d’ailleurs en croire l’écolier lui-même, « il travaillait beaucoup pour que cela l’amusât, » et « il était à sa manière un bon petit humaniste. Il sentait avec beaucoup de force ce qu’il y a d’aimable et de noble dans ce qu’on appelle si bien les belles-lettres. » Et l’on sait de reste qu’il n’a jamais perdu une occasion de se faire le défenseur éloquent, enthousiaste des « humanités ; » « il leur porte un amour désespéré ; il croit fermement que, sans elles, c’en est fait de la beauté du génie français. » En cela encore il n’a pas été un ingrat. C’est sur les bancs du collège Stanislas qu’il a eu la féconde révélation de la beauté antique. « A douze ans, les récits de Tite Live lui arrachaient des larmes généreuses. » Plus tard, la Grèce lui apparut » dans sa simplicité magnifique. » L’Odyssée lui fut un long ravissement. Puis ce furent les tragiques :


Je ne compris pas grand’chose à Eschyle ; mais Sophocle, mais Euripide

  1. En huitième (L’Homme libre du 5 mai 1913).