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second ordre ; rien n’y annonce un grand écrivain. Très décousu, mal composé, écrit d’un style élégant et facile sans doute, mais trop fleuri et peu personnel, plus abondant en anecdotes qu’en impressions originales et en jugemens très motivés, il ne nous renseigne avec précision ni sur Vigny, ni sur son critique. Ces pages ne sont pas de celles qui s’inscrivent en naissant dans la « littérature » d’un sujet, et l’on peut écrire sur le poète des Destinées sans les avoir lues. Il y a quelques années, l’Académie française mettait au concours l’Eloge d’Alfred de Vigny : les deux mémoires couronnés, et qui ont été publiés, de MM. P.-Maurice Masson et Firmin Roz sont bien supérieurs à l’opuscule de M. Anatole France, et l’on peut se demander si l’auteur de Thaïs s’est bien soucié, dans ce premier petit livre, de donner toute sa mesure.

Car il ne suffirait pas, je crois, pour expliquer notre déception, de nous dire que cette étude sur Vigny est l’œuvre d’un jeune homme de vingt-quatre ans. La raison serait assurément valable, si les autres juvenilia du même auteur ne s’imposaient pas à notre attention d’une manière plus décisive : ce ne serait pas le premier talent qui se serait formé lentement et laborieusement. Mais, précisément, les autres pages de la même époque, de simples et courts comptes rendus le plus souvent, ont déjà un tour, un accent, qui dénotent une personnalité fort attachante et déjà très arrêtée, et elles ne dépareraient certainement pas le recueil des articles de la Vie littéraire. Nous aurons à en tenir compte quand nous en viendrons à définir M. France critique. Mais faudrait-il déjà induire de là qu’il est né avant tout chroniqueur et journaliste ?...