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paru tout d’abord au Mercure de France, et il faut n’avoir pas lu l’Essai sur les Révolutions, — ou l’avoir lu à travers Sainte-Beuve, — pour dire que c’est un livre « profondément irréligieux. » Un pur érudit n’aurait pas commis ces méprises.

J’insisterais moins lourdement sur ces misères, si j’y attachais la moindre importance, et s’il ne s’agissait pas avant tout de louer M. France « où il faut. » L’érudition est quelque chose ; mais il n’en faut pas être dupe, et même en matière de biographie ou d’histoire, elle ne vaut pas le talent. Or, que de fines et jolies pages le poète des Noces corinthiennes a dispersées dans les nombreuses Préfaces qu’il a écrites, et quelle délicieuse anthologie on en pourrait faire ! Dans des genres très différens, signalons celles qu’il a consacrées à Lucile de Chateaubriand, à Bernardin de Saint-Pierre, à Racine ; n’oublions pas, dans une Lettre de Sicile, qui sert de préface à une traduction de l’Oaristys, une description, presque digne de Théocrite, du bélier de Syracuse[1]. Et citons au moins ces quelques lignes charmantes, que je cueille dans un Guide artistique et historique au palais de Fontainebleau[2].


Je voudrais, pour ma part, que tous les Français fissent le pèlerinage de Fontainebleau. Ils y apprendraient à respecter, à admirer, à aimer l’ancienne France, qui a enfanté ces prodiges. Nous croyons trop aisément que la France date de la Révolution. Quelle erreur détestable et funeste ! C’est de la vieille France que la nouvelle est sortie. Ne serait-ce que pour cela, il faudrait la chérir. Il n’y a de salut pour nous que dans la réconciliation de l’ancien esprit et du nouveau. Il me semble que, bien mieux que partout ailleurs, c’est à Fontainebleau que cette réconciliation pourrait s’opérer par un coup de la grâce. C’est pourquoi je supplie tous mes compatriotes d’aller passer une journée dans ce palais, dont les souvenirs marquent la continuité de l’esprit français à travers ces régimes qu’une illusion nous montre opposés entre eux, mais qui, en réalité, sortent naturellement, nécessairement l’un de l’autre. Ils s’en iraient de là, j’en suis sûr, dans un heureux état d’esprit, aimant leur temps, qui est ingénieux, inventif, tolérant, spirituel, et respectant les vieux âges et leur fécondité magnifique.

Ils ne manqueront pas, au sortir du Palais, de se promener dans la forêt, dont les arbres séculaires, qui verdoient pour nous, verdiront encore pour nos enfans, et nous enseignent que la vie est trop courte pour qu’on doive l’occuper d’autre chose que de ce qui élève et de ce qui console.

  1. Théocrite, l’Oaristys, texte grec et traduction de M. André Bellessort, précédée d’une Lettre de Sicile, par M. Anatole France, Paris, Pelletan, 1896, in-8, p. VII-VIII.
  2. Guide artistique et historique au palais de Fontainebleau, par Rodolphe Pfnor, préface par Anatole France. Paris, Daly fils, 1889, in-8, p. VI-VII.