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en certaines provinces qu’en 1840 avant la création des chemins de fer ; en tout cas, ces chaussées ferrées, cami ferrat, comme on les appelait en Périgord où la voie romaine de Tintiniac à Vesone mettait, seule encore au XVIIIe siècle, le Bas-Limousin en communication avec Périgueux, ne le cédaient en rien à nos routes modernes, ni pour la solidité du fond, ni pour la douceur des pentes ou le rayon des courbes. Tantôt en déblai, tantôt en remblai, leurs auteurs, pour éviter les sinuosités et niveler le terrain, avaient prodigué les travaux d’art, édifié des ponts et traversé des bancs de rochers.

Elles bravèrent l’incurie pendant des siècles puis, peu à peu, usurpées et démolies par les riverains, vendues parfois, — les Etats de Bourgogne concédaient encore en 1788 à un particulier une portion de la voie romaine d’Autun à Chalon, — elles s’effacèrent sur le sol comme dans le souvenir des hommes. Les anciennes routes étaient si oubliées que, lorsqu’on songea sous Louis XV à en faire de nouvelles, celles-ci côtoyèrent souvent à peu de distance les devancières qu’elles ignoraient et dont le tracé, on en a plusieurs exemples, était meilleur.

Pour nos contemporains habitués à vivre dans un pays sillonné de voies innombrables, uniformément bonnes en toutes saisons, bien que différentes de largeur, les routes actuelles, avec macadam et agens voyers, semblent un présent naturel du Créateur sans lequel un pays policé ne se pourrait concevoir ; aux Français de jadis nos routes artificielles paraîtraient au contraire assez invraisemblables.

Ils employaient le mot de « route » dans le même sens qu’aujourd’hui les marins sur l’Océan, pour signifier la place par où l’on a coutume de passer en allant d’un lieu à un autre. La route s’était créée d’elle-même, sous les pas du voyageur ou du roulier, comme se trace un sentier peu à peu dans des champs traversés toujours au même endroit. Peu importait que cette piste en terrain varié, épousant les moindres reliefs du sol, escaladât des collines abruptes, pourvu qu’on la pût suivre sans danger.

Sécurité prima longtemps commodité. Le moyen âge abonde en traités, passés entre des villes dépendant de différentes juridictions, « pour la liberté des chemins. » Ces accords sont tantôt d’un mois ou deux, « jusqu’à la fête de Pâques, » prolongés « jusqu’à l’octave Saint-Jean, » tantôt d’un an, comme celui