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et prudens, ne manifestaient aucune inquiétude. D’ailleurs, dans les éclaircies des jujubiers et des chênes-lièges, des douars attestaient la sécurité de la région. Tentes et troupeaux prouvaient que toutes les tribus n’étaient pas en dissidence, et leur présence était la sauvegarde efficace des voyageurs. Cavaliers se dirigeant vers la ville, piétons poussant leurs bourricots enfouis sous les « tellis » bourrés de grains ou de pacotille, circulaient sans armes apparentes ; ils avaient la physionomie amène et le salut courtois : « De la politesse et pas de fusil,... où sont donc les « farouches » Zaër ? » se demandait Pointis qui n’avait pas oublié l’expression consacrée par des ordres du jour récens. Et comme la chaleur était accablante, il cessa de régler son allure sur celle des chameliers pour arriver plus tôt à El-Mati, dont on lui avait vanté la source abondante et les ombrages frais.

Sous des figuiers séculaires, des boîtes de conserves vides et des papiers gras gâtaient le charme du ruisseau qui chantait dans les vasques de roches. Un plateau jalonné par des monticules de crottin, des tranchées à demi comblées, dénonçait le traditionnel gîte d’étapes des convois-navettes qui reliaient Rabat à N’Kreïla. Depuis des mois, escortes, voitures et mulets de bât, mus par une direction sagace, échangeaient en ce lieu les vivres, le matériel et les munitions destinés aux « postes de l’avant » contre les malades évacués par les formations sanitaires, les tonneaux vides et les caisses hors d’usage de l’Administration. Depuis des mois, aussi, les témoignages malodorans de leurs périodiques rencontres s’accumulaient sans contrainte, malgré les prescriptions platoniques des circulaires et des règlemens. Pointis considéra qu’ils déshonoraient le paysage, et que les mouches innombrables y rendraient la sieste impossible. Il résista aux suggestions tentatrices de son cuisinier, ancien maître d’hôtel d’une popote d’officiers, qui avait médité pour ses débuts un menu séduisant ; il renonça aux délices d’une étape sous les arbres, près d’une eau courante, qui l’invitaient aux paresseuses rêveries. Lesté par les traditionnels œufs durs du repas froid, il résolut d’imiter le « convoi libre » qui, après une courte halte, allait sans rompre charge jusqu’à N’Kreïla.

« La route est courte et bonne, » lui affirmait un Grec qui suivait la caravane et qui, flairant dans ce Français pressé quelque providentiel commanditaire, multipliait depuis Rabat les offres de service et les complimens. Et, vraiment, elle contrastait