Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des chefs de la rébellion dont elles redoutaient les coups de main audacieux. Ces irréductibles adversaires, d’ailleurs, n’hésitaient pas à voler des troupeaux, assassiner les gardiens, piller les douars. Ils avaient annoncé leur intention d’obliger les Roumis à la retraite, en faisant le vide autour de leurs garnisons. Réfugiés dans la haute vallée de l’oued Grou, ils en sortaient pour fondre sur les voyageurs isolés comme sur les caravanes. Les routes n’étaient plus sûres au Sud de N’Kreïla ; le bled devenait inhabitable pour les gens paisibles ; les commerçans ne pouvaient plus compter que sur leurs profits de mastroquets ; les postes eux-mêmes étaient sur le qui-vive.

A ce moment, une fusillade toute proche interrompit les doléances du mercanti. Des balles passèrent en sifflant. Un bruit mat sur les pierres, un trou dans les planches de la case firent aplatir ses habitans sur le sol. Pointis remarqua cependant que nul « moukala » n’avait provoqué les claquemens caractéristiques des lebels. « Les sentinelles ont cru voir quelque chose, dit-il ; elles ont tiré au hasard... » Et des appels en français, entrecoupés de plaintes, des pas précipités, des exclamations apitoyées, des jurons, confirmèrent la méprise que suivit un silence lourd : « Ils ont dû prendre une de leurs patrouilles pour des Marocains, supposa le Grec d’un ton dolent. Depuis une semaine, monsieur, c’est presque chaque nuit la même chose ! Si je ne m’étais enfin décidé à faire autour de ma maison un mur en cailloux, nous pouvions cette fois y rester. Il faut vraiment avoir besoin de gagner sa vie pour s’exposer à de telles émotions ! D’ailleurs, j’en ai assez ! Dès demain, j’emballe mes marchandises et je rentre à Rabat. » Pointis essaya de le réconforter, en évoquant les résultats de la colonne prochaine : « La colonne ! clama l’autre. On en parle toujours, elle ne vient jamais. Les Bicots n’y croient plus. Ils s’imaginent même que les Français ont peur d’eux. » La phrase finit dans an soupir gros de regrets et de réticences, et Pointis n’insista pas.

Enervé, maintenant, il attendait en vain le sommeil. Il songeait à la fragilité de la barrière qui le protégeait. Il admirait le fatalisme ou l’héroïsme inconscient de son hôte, qu’une feuille de sapin séparait de la ruine ou de l’assassinat, et qui dormait, placide, entre deux feux. Dans la plainte du bois qui se gondolait sous la rosée, dans le glissement fureteur d’une