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se joindre au convoi. Après l’avoir obtenue sans peine, il se tenait à l’écart, tandis que les conducteurs et les chameliers terminaient leurs derniers préparatifs. Mais, dans le brouhaha des parlotes, il démêlait aisément les causes de cette insolite surexcitation. Un factionnaire Les avait vus ramper vers le parc aux bœufs ; il avait tiré par erreur sur une patrouille qu’un caporal astucieux faisait manœuvrer pour Les prendre. C’étaient sans doute Les mêmes qui avaient failli capturer naguère le troupeau, qui avaient enlevé de vive force des femmes dans le « douar réservé, » souillé la fontaine et dévasté le jardin pour narguer la garnison. Invisibles et insaisissables le jour, on Les devinait rôdant la nuit autour des réseaux de fil de fer, pour tenter un coup de main dont la réussite démontrerait aux tribus hésitantes la couardise des Roumis. Et ce danger perpétuel et mystérieux, flottant dans l’atmosphère du poste, énervait même les plus braves, mettait une fêlure dans l’audace des plus résolus.


Le convoi s’était enfin ébranlé dans la direction de Camp-Marchand. La piste s’allongeait sans obstacles sur le plateau désert. Cependant, les sentiers bien battus qui, de l’Est, descendaient vers le bassin du Korifla, dénonçaient la circulation intense des dissidens, dont les poteaux en fer du télégraphe, lamentablement couchés sur le sol, affirmaient la désolante audace. On avait depuis longtemps renoncé à réparer cette ligne où fondaient le fil et les isolateurs que les rebelles emportaient comme trophées dans leurs douars. Pointis comparait en lui-même ce fatalisme inerte à l’activité toujours en éveil des chefs de postes dans les colonies qu’il avait déjà parcourues. Il s’expliqua les défections des tribus par ce témoignage permanent de l’impunité après quelques défaites sans lendemain : « Segonzac avait raison, conclut-il, quand il accusait les « grosses colonnes » de tracer un sillage et non un sillon. L’an dernier, le général Branlières a bombardé la kasbah Merchouch, battu près d’Aïn-Sebbab une harka nombreuse, fondé trois postes dans la région ; mais son œuvre ne paraît pas avoir été, depuis, poussée plus loin que le prologue. Les dissidens auraient vraiment tort de se gêner. » L’apparition de cavaliers, dont la silhouette bleuâtre s’estompait dans la brume du matin, lui prouva aussitôt qu’ils n’y songeaient guère. On les voyait, au