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de 35 kilomètres à peine, et que ces deux postes n’ont pas de relations directes à cause de l’insécurité des chemins. Je comprends maintenant pourquoi les augures prétendent qu’il nous faudra cent mille hommes au Maroc ! »

A la popote, où les commensaux d’Imbert adoptaient aussitôt Pointis comme un des leurs, puisqu’il pouvait parler aussi doctement qu’eux de l’Indochine, de Madagascar ou du Sénégal, les progrès d’El Hiba dans le Sud, les coups de main contre les postes sur la route de Fez, la passivité des troupes dans la région zaër, étaient commentés avec aigreur. Les officiers métropolitains de la garnison, que la cordialité des relations y conviait fréquemment, défendaient avec conviction la prudence des programmes, la lenteur calculée des offensives : « Les Berbères ne sont pas comme vos nègres du Soudan ; ils sont autrement courageux et bien mieux armés, » disaient-ils quand on leur citait en exemple la rapidité foudroyante de l’épopée africaine, l’enlèvement de Sikasso, l’entrée à Tombouctou, la capture de Samory, la conquête du Tchad, et surtout la prise d’Abéché par un lieutenant isolé à 3 000 kilomètres de la mer, avec 180 Sénégalais et deux vieux canons. Ainsi, les uns concevaient la solution du problème marocain par le temps, les gros effectifs, les opérations savantes, préparées à coups d’aide-mémoires et de schémas. Les autres vantaient la supériorité de la méthode fondée sur l’initiative des sous-ordres, la mobilité déconcertante de petits détachemens des trois armes, l’audace des tentatives, la revanche immédiate d’un échec, l’exploitation intensive du succès. Et ils précisaient : « Plus de grosses garnisons en léthargie ! plus de colonnes en rond, si elles ne doivent pas poser sur le pays les jalons permanens de la conquête ! Un réseau serré de postes, faciles à ravitailler et défendre, commandés par des chefs qui savent allier la prudence à l’ardeur ! Voilà la formule ; elle nous a donné, en trente ans, l’Indochine, Madagascar et le quart de l’Afrique ! » Pointis, que les deux partis prenaient alors pour arbitre, avouait ses préférences pour le système où triomphait l’individualisme de notre race ; mais il invoquait les difficultés de l’heure présente pour exhorter les impatiens à la résignation : « J’ai quelque peu vu, et beaucoup entendu, à Rabat et Casablanca. De gré ou de force, une politique méthodique et circonspecte est provisoirement nécessaire. La révolte d’El Hiba, qui gagne la région de Marrakech,