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Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/674

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une poussière qui flottait comme un ruban de gaze sur les méandres des pistes et des sentiers. Les guetteurs des dissidens, tapis au sommet des montagnes, épiaient ces mouvemens de fourmilière et ne parvenaient pas à dénombrer la mehallah des Roumis. Incrédules, confians dans l’inviolabilité de leurs retraites, leurs chefs calmaient l’anxiété des douars. Ils songeaient aux alertes précédentes, aux randonnées successives des Branlières, des Moinier, des Brulard, et ils affirmaient à leurs fidèles que, cette fois encore, l’orage s’éloignerait sans éclater.

Cependant, cette concentration semblait de bon augure aux hésitans, qui n’avaient pas changé de parti. Escomptant les revanches prochaines, nos derniers partisans exultaient. L’officier de renseignemens du poste voyait chaque jour, sans surprise, les solliciteurs animer son bureau longtemps désert. Naguère, quelque voyage à Rabat ou Casablanca leur avait fait deviner à temps la supériorité finale de notre force ; ils avaient dès lors persisté dans l’attente souvent dangereuse de l’imminente curée. Ils conservaient, dans leurs burnous somptueux ou leurs guenilles malpropres, leur traditionnelle allure de grands seigneurs, mais ils mendiaient déjà sans vergogne d’hypothétiques dépouilles qu’ils se disputaient âprement. Débordé par l’assaut de ces convoitises, Imbert qui était pris pour arbitre suprême évitait de se compromettre, et n’imposait aucune limite à l’élasticité de ses engagemens. Pointis, que la curiosité faisait assister assidûment à ces conférences, s’étonnait de voir la légendaire fierté arabe s’effondrer dans tant de bassesse et de cupidité.

Nul sentiment noble ne germait dans leur mentalité grossière de ralliés. Certes, Pointis en avait rencontré des vaincus acceptant leur défaite, qui se glorifiaient d’être les collaborateurs loyaux des conquérans. Mais ceux-là savaient que la domination étrangère était l’épreuve indispensable au salut de leur race. Annamites affinés, Hovas orgueilleux, avaient compris l’impossibilité de leur indépendance hors du type social que les États d’Europe représentaient. Ils avaient souffert de leur faiblesse, mais ils espéraient sortir fortifiés de l’école du malheur. Ils croyaient que, seule, notre intervention brutale avait pu briser le moule des traditions où s’était figée leur nationalité. Ils s’instruisaient près de nous, pour préparer à leur pays une destinée