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le massif de Sidi-Lakdar, où sont campés les Fokras de Merchouch ou Bou-Achéria, qui perpétrèrent l’assassinat de Marchand et de Méaux ; à l’Est, ce chaos de pics déchiquetés, c’est la vallée du Grou qui abrite les dissidens les plus irréductibles, et qui confine aux domaines du puissant Zaïani. » Et tout ce pays était si inculte et si dénudé, ses broussailles sèches lui donnaient si bien l’aspect d’un désert grisâtre, que les imaginations les plus folles n’y pouvaient concevoir, avec les chocs imminens de deux races, des hécatombes de guerriers.

La voix berceuse de l’officier de renseignemens s’était tue. Les coups de fusil lointains ne ponctuaient plus le silence lourd. L’air dansait sur la plaine et les rochers surchauffés. L’heure du départ approchait. Pointis était près de trouver le sommeil dans la rêverie où son esprit s’évadait, quand un galop le fit tressaillir. Il ouvrit les yeux et reconnut l’agent de liaison de l’artillerie qui se hâtait : « Mon commandant, cria le brigadier, le lieutenant m’envoie vous dire qu’on aperçoit des troupeaux et des gens qui semblent se diriger vers le col. Faut-il tirer ? — Rien ne presse. Je vous suis. Venez-vous, Pointis ? Nous verrons sans doute du nouveau. » Pointis se leva d’un bond, et, quelques instans après, il grimpait avec son ami sur le dôme rocheux où les deux pièces de 65 se tenaient en surveillance. Les servans rassemblés en groupes remuans autour des canons, les Sénégalais du soutien qui gesticulaient, leur apprenaient de loin qu’un spectacle insolite les attendait.

Quand il arriva, essoufflé, sur l’étroite terrasse où « les crapouillots » béaient vers l’Est, Pointis ne put retenir un cri d’enthousiaste étonnement. A ses pieds, une vallée s’élargissait en éventail vers un hémicycle insoupçonné de montagnes où s’enfonçaient des ravins qui semblaient séparer les secteurs des loges d’un théâtre désert. Et cette comparaison s’imposa sur-le-champ, quand il eut constaté à la lorgnette, dans les replis estompés du terrain, des grouillemens confus d’êtres en émoi : « On croirait que la représentation vient de finir, et que les spectateurs se hâtent vers la sortie, » dit-il à Imbert qui cherchait l’explication de ces agitations simultanées. D’ailleurs, ils ne tardèrent pas à comprendre. Les foules, toujours indistinctes, avançaient. Elles suivaient les thalwegs, franchissaient les ondulations du sol, comme poussées vers un but commun, et leur