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d’un grand docteur ; et il était seulement pieux. Que faire ? Il ne fit rien de bon. Et il était imprévoyant, de manière à ne pas regarder devant lui où conduisent les mauvais chemins.

On doit aussi, non pour le juger, mais pour le comprendre, tenir compte de cette époque où il eut son adolescence. Le pays a enduré l’invasion des Anglais ; il a terriblement souffert : et ces crises nationales ont pour effet de démoraliser les gens. On n’ignore pas ce que fut l’état du royaume à l’avènement de Louis XI. La guerre est finie : tout ce qu’elle contenait de force et de fougue dans sa dure discipline se relâche, se répand et veut jouir de sa liberté. Une énorme vitalité, délivrée de ses contraintes, débridée, se rue à ses désirs, lesquels ne sont point délicats. Et il y a, dans le royaume, une atmosphère de folie, que les plus fins reniflent, s’ils ont les narines bien ouvertes. Tel est Villon, le nez au vent.

Voilà des causes générales de dissipation. Mais il en est de plus singulières et qui semblent avoir été, pour le pauvre Villon, déterminantes. À peine avait-il vingt-cinq ans, un soir de la Fête-Dieu, quand il tua Philippe Sermoise. On avait porté en procession Notre-Seigneur dans tout le quartier Saint-Benoît. La liesse de la journée animait encore les rues. Le soir, Villon était assis, dans la rue Saint-Jacques, sur un banc de pierre. Sermoise arrive ; Sermoise, un prêtre, mais furieux. Il invective contre Villon et, de sa dague, le frappe au visage. Villon lui plante dans l’aine une dague qu’il avait, lui aussi, cachée sous son petit manteau. Sermoise mort, Villon se sauve : durant sept mois, il est hors de Paris, soumis au gré de maints hasards. Et il revint ; mais il avait, dans son passé, ce préambule. Et, quand il tua Sermoise, il était en légitime défense, en défense assez légitime ; cependant, il avait tué Sermoise. Puis, entre ces garçons, d’où venait la haine ? On soupçonne des rivalités d’amour.

Il y a, dans la jeunesse de Villon, deux femmes, qu’il a aimées, et non comme « filles mignotes, » mais de vraie passion. Et il l’avoue quand « ses grands deuils en sont passés. » Il parle d’elles ; et il affecte de rire : même, il injurie violemment leur souvenir. Il ne les aime plus, ni Marthe, ni Catherine de Vausselles. Il les a aimées et il garde sa rancune, qui est de l’amour perverti. Catherine de Vausselles et Marthe lui ont été complaisantes, trompeuses. Elles l’ont mis dans la mélancolie où un tendre jeune homme est le plus déraisonnable. Elles l’ont déçu quand il était crédule ; et, quand il leur dédiait son esprit gracieux, elles l’ont envoyé aux plus viles consolations.

Du moins, il y alla !… Et j’ai pitié de lui, mais aussi des jolies