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de faits et de renseignemens fut rédigée en deux mois. La publication fut si opportune qu’elle devint, comme l’avait voulu l’écrivain, un instrument politique, une arme contre ses ennemis au dedans et au dehors.

Le début de la guerre avait été facile. César n’avait eu à combattre que des peuples divisés et surpris. Il eut l’habileté de faire croire aux cités gauloises qu’il les protégeait contre la conquête germanique. Il se donnait comme un sauveur. Mais quand les chefs eurent compris, quand les peuples, à la voix de Vercingétorix, se furent réveillés, quand l’union se fut faite, le péril grandit et retentit jusqu’à Rome. Rome qui, jusque-là, inattentive et toute à ses passions politiques, avait laissé faire, se réveilla à son tour. On cria à la folle entreprise ; les nouvellistes et les adversaires clabaudèrent. On sentait l’ambitieux sur le faîte entre le triomphe et l’abîme. On l’eût poussé plus volontiers de ce côté-ci que de l’autre. On affectait le pessimisme et le découragement à l’heure où il fallait tenir bon et avoir confiance : c’est l’ordinaire. César quitta le glaive et prit le style.

De là ce livre amusant, pittoresque, vivant et convaincant, où tous les mots ont leur poids, où vibre la vie, où les silences mêmes sont éloquens ; où l’art est d’autant plus habile qu’il apparaît moins, jouant la franchise, la simplicité, la candeur, quand tout est profondeur, pénétration, calcul.

Mais cette histoire ne serait qu’un plaidoyer politique, c’est-à-dire quelque chose de bien inférieur à l’histoire, si César, avec l’acuité du génie, n’avait senti que la plus puissante des démonstrations, c’est l’exposé de la vérité toute nue et s’il ne s’était appliqué à faire toucher du doigt, pour ainsi dire, les réalités qui l’avaient tant occupé et préoccupé lui-même. Instruire Rome, c’était la convaincre. Il transporte donc le citoyen romain en pleine Gaule et lui fait passer en revue sa nouvelle conquête. Il expose et cela suffit.

Cet exposé passionna les contemporains ; il passionne la postérité. Cicéron n’aimait pas César ; très jaloux, en tout cas, de la gloire littéraire, il écrit, cependant, à propos des Commentaires : « chef-d’œuvre de netteté, de pureté et d’élégance. » Et il dit encore : « Rien n’est plus délicat que cette brièveté pure, qui laisse transparaître toutes choses. » Quant au sentiment de la postérité, qu’on réfléchisse seulement à ceci : sans César, l’Europe extra-méditerranéenne ignorerait les circonstances qui