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Salluste, contemporain de César et de Cicéron, est le premier historien de métier. Non pas qu’il n’ait été mêlé, lui aussi, à la vie publique ; mais il en fut éloigné, soit par la concurrence des partis, soit par ses propres fautes ; car les apologistes l’ont mal disculpé d’avoir abusé des fonctions qu’il occupait en Afrique pour s’enrichir indûment. Dans sa retraite, volontaire ou non, il se résolut, dit-il lui-même au début du Catilina, à écrire les faits et gestes du peuple romain, par morceaux détachés, en s’attachant aux plus dignes de mémoire. On sent, ici, le parti pris d’auteur : il cherche des motifs et des cadres ; il faut reconnaître qu’il les traite et les remplit admirablement.

Son œuvre est en opposition déclarée avec celle de César, et cela est d’autant plus frappant que les sujets ne sont pas sans analogie : la conjuration de Catilina, c’est une scène des luttes intestines à Rome, comme la Guerre Civile de César ; et l’histoire de Jugurtha, c’est un épisode de la politique coloniale, comme la Guerre des Gaules. Mais autant l’œuvre de César, dépouillée de tout vain ornement, se signale par sa simplicité militaire, autant celle de Salluste vise à l’effet littéraire et esthétique. Salluste est un auteur. Le portrait célèbre de Catilina, tel qu’il l’a tracé, prouve à la fois la force et la limite de son talent : « Catilina était, né noble, vigoureux de corps et d’âme, mais d’un génie méchant et dépravé. Encore adolescent, il se rua aux discordes intestines ; meurtres, rapines, querelles, ce furent ses premiers exercices : il supportait la faim, le froid, la veille avec une constance incroyable ; fier, rusé, mobile, simulé et dissimulé, avide du bien des autres, prodigue du sien, il s’adonnait avec violence à toutes ses passions ; il ne manquait ni d’éloquence, ni de prudence ; mais son esprit déréglé n’aspirait qu’à des choses excessives, immodérées et trop hautes pour lui. L’exemple de Sylla lui donna une envie indicible d’être le maître dans la République ; tous les moyens lui furent bons, pourvu qu’ils le menassent à la royauté ; il y était poussé par une ambition croissante et sauvage, par le besoin et par la conscience même de son infamie. En plus, la corruption des mœurs publiques, les maux divers dont souffrait la République, et d’abord la luxure et l’avarice, le stimulaient. Son époque le portait ; car tout ce qui restait des vieilles traditions, soit à l’armée, soit dans la cité, le magnifique héritage romain s’était