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comprendre les personnages de M. Arnold Bennett, si nous venions à oublier que chacun d’eux vit retranché en lui-même sous la double influence du puritanisme et d’une éducation où tout conspire à faire prédominer le caractère sur l’intelligence et la sensibilité. Peu à peu Cyril se détachera de sa mère et, sans devenir jamais un mauvais fils, la délaissera au point qu’elle n’aura pas, en mourant, la consolation de le voir à ses côtés.

Hilda Lessways, dont la personnalité, comme nous le verrons, est si curieuse, se montre, dès les premières scènes du roman, agressive et dure envers sa mère. Avec le dogmatisme naïf et vain de la jeunesse, miss Lessways ne s’avisait pas que sa mère avait su vivre sans elle, un certain nombre d’années, — avant sa naissance d’abord et longtemps après, — à sa propre satisfaction et à celle de quelques autres. Quand la mort aura passé, Hilda verra mieux la véritable figure de celle qu’elle a méconnue. Elle y découvrira ce mélange de qualités et de défauts, de faiblesse et de force, qui est la part de toute créature humaine et qui, s’il justifie mal l’excès de notre confiance en nous-mêmes, condamne plus justement encore nos rigueurs et nos dédains à l’égard de nos semblables. Oui, un peu de temps encore, et Hilda Lessways se fera une idée plus vraie de sa mère, « si vive, si gaie, avec son amour de la vie, son égalité d’humeur, sa bonté, son désordre, son incompétence et ce qu’il y avait à la fois, dans son esprit, de pauvreté et de finesse. » Plus tard encore, quand elle connaîtra mieux les complications de l’existence et qu’elle commencera à douter d’elle-même, de son habileté, de sa sagesse et de l’emploi qu’elle a fait de ses avantages, il nous sera bien permis d’interpréter comme un retour sur elle-même cette réflexion déjà mélancolique : « Je me demande si ma fille, en supposant que j’en aie une, serait aussi différente de moi que je suis de ma mère. »

Mais ces différences n’ont pas le temps de développer leurs effets. Mrs Lessways meurt dès le début du roman, et si nous entrevoyons, au cours des premiers chapitres, « l’existence domestique de ces deux femmes mal assorties, » elle n’est pas le sujet que s’est proposé de traiter ici M. Arnold Bennett Un antagonisme de ce genre, entre le père et le fils cette fois, est, au contraire, un des élémens essentiels du grand roman de Clayhanger. Il occupe à peu près toute la durée de l’action, et quand Darius Clayhanger est mort, l’auteur retrouve les mêmes mots pour nous dire : « La chaîne était enfin brisée, qui avait lié