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ESQUISSES MAROCAINES.

rugueuse et le poids de la pierre, l’accord est immédiat et l’esprit est content.

Ainsi à tout moment le tableau se fait et se défait. Le hasard le compose. La plaine est uniforme et pauvre, les petits villages misérables sont tous pareils et tous les êtres se ressemblent. Dans la cadence régulière du temps les générations se succèdent sans changement, comme les moissons dans les champs. L’animation d’une petite ville arabe, des villages identiques a quelque chose de l’animation à la fois inconsciente et réglée d’une ruche ou d’une fourmilière. Rien de plus simple, de plus rudimentaire que ce renouvellement de vies ignorantes qui, ajoutant chacune un anneau à la chaîne des âges, s’enroulent elles-mêmes dans cette chaîne, sans avancer d’un pas, les yeux toujours fixés sur le même horizon. Dans ces longues plaines onduleuses, dans les masures des petites villes, combien d’êtres couchés à la belle étoile, le soir, collés au flanc chaud des chameaux assoupis, qui se souviennent à peine du passé et ne prévoient rien de l’avenir ! Plus l’homme est simple, pauvre, dénué d’initiative et d’ambition, véritable enfant de sa mère la terre qui, inconsciente elle-même, le porte vivant et puis mort, plus il nous touche et nous semble exprimer dans ses élémens les plus vrais le problème même de la vie. Son âme est neuve comme le sable de la plage où des pas pressés ou las s’étaient inscrits, que le flot a lavés et qui n’ont point laissé de trace. On ne peut le définir ni par la race à laquelle il appartient, ni par le métier, ni par la distinction d’une classe sociale. D’un pays musulman à un autre, Musulman pauvre de Syrie, d’Egypte, de Barbarie ou du Maroc, il est à peu près le même pour nos yeux. Rural, il a vécu sur les terres chaudes, au bord des sables dorés, il a mené ses chèvres, ses bœufs dans la sécheresse épineuse des lentisques et fait danser sa barcasse sur la mer. Citadin des petites villes, il a grandi dans l’ombre des ruelles, et demi-couché sur les nattes des petites échoppes où il tisse les laines mousseuses, les soies lustrées, aligne les babouches jaunes ou frappe éternellement de son petit marteau les plateaux de cuivre. Il ne connaît de la vie que les variations du jour et des saisons.

Passez-vous en effet d’un pays musulman à un autre, revenez-vous après de longues années d’absence, c’est toujours le même tableau vivant. L’enfant qui s’ébattait dans le sable sous le figuier et courait après les lézards, le voilà qui manie les