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jusqu’à quel point elle peut bien être mortelle, la terrible Sophia, d’un tour de main, fait sauter le corps du délit. Tout à l’heure, en prenant son thé, Samuel Povey croira l’avoir avalé avec une moule et expliquera à cette occasion que c’est une autre dent qui le fait souffrir. Sophia sera obligée de quitter la salle pour cacher son fou rire. Trois ou quatre ans plus tard, que reste-t-il de cette gamine espiègle et volontaire dans la jeune femme abandonnée, déçue et Hère, qui se débat seule au milieu des difficultés de la vie ?...

Constance a épousé Samuel Povey. C’est un ménage tranquille, auquel il n’arrive rien ; et si nous voulons savoir où elle en est à son tour après quelques années : « Les naïves extases de la jeune fille étaient déjà loin ; il avait fallu acheter à ce prix l’expérience et la possession de soi-même et la vue des choses telles qu’elles sont. L’immense mélancolie de l’univers ne l’avait pas épargnée. »

Elle épargnera moins encore Janet Orgreave et Maggie Clayhanger, qui vieillissent sans réaliser leur rêve d’un amour et d’un foyer. Elles ne se plaignent pas, et c’est à nous de deviner sous leur silence, sous la surface de leurs jours unis, la profondeur de leur déception. Janet est une douce et jolie fille. Son père, architecte achalandé, vaillant à l’ouvrage, habile au gain et joyeux à la dépense, mène avec entrain une maison nombreuse. On y vit largement, gaîment. Quant à la jeune fille elle-même, « elle était connue, elle était presque célèbre comme une favorite universelle. Par instinct, sans y penser, elle plaisait à tous, grands et petits. Enfant gâtée de la nature, elle en avait reçu, avec quelque beauté, une incontestable élégance et une amabilité qui se prodiguait sans artifice. Elle n’avait qu’à sourire pour se faire des amis ; il ne lui en coûtait rien. » Peut-être Edwin Clayhanger, qui est le voisin des Orgreave, s’éprendrait-il de Janet, s’il n’était pas destiné à aimer, en dépit de toutes les traverses, la déconcertante Hilda Lessways. Mystère de la viel comme aime à dire M. Arnold Bennett Elle semblait pourtant, cette Janet, créée pour régner sur un foyer, a destined queen of the home, et voici qu’elle vieillira solitaire.

Plus mélancolique encore, dans l’ombre discrète où elle se tient, dans l’activité paisible où elle se poursuit, la destinée de Maggie Clayhanger. A n’en voir que l’extérieur, — et c’est tout ce que nous voyons, — elle est unie, transparente, sans désirs et