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maladie de son père fait peser sur lui, avec tout le fardeau des affaires, des responsabilités nouvelles, il a parfois le sentiment d’être enfermé sans issue dans une existence étroite, incomplète et stérile. Il est devenu le chef de la maison, puis, après la mort du vieux Clayhanger, le maître de la maison, son maître.

Un jour, il a vu arriver chez les Orgreave un petit garçon, l’enfant de Hilda. Il ne sait toujours rien de la mère ; mais nous savons qu’elle est libre, et voici son enfant... Dès lors, nous ne doutons plus qu’Edwin et Hilda ne se retrouvent. Ils se retrouveront. Elle a été plus malheureuse que lui ; elle a connu les pires traverses. Mais « il y avait en elle l’étoffe d’une femme. » Oui ; et l’on pourrait inscrire ces mots en épigraphe de son histoire. Il fallait à cette étoffe la façon de la vie. La vie l’a travaillée depuis le soir d’amour où Hilda, devant le cher garçon enivré de son charme, s’était sentie redevenir une jeune fille. Quelques jours plus tard, son rêve sombrait dans la certitude de la maternité prochaine : il n’y avait plus de jeune fille. « Et pourtant, en dépit de tout, par une sorte de magie, de miracle, la jeune fille, dans toute sa douceur, était encore là. Elle était là, avec l’immense espoir que rien ne pouvait abattre, et ce sentiment de force que rien ne pouvait étouffer ; et tout cela était prêt à jaillir encore, contre toute raison, à illuminer son âme où ne brillait plus aucune étoile. »

Ce pressentiment ne l’a pas trompée, et tout s’expliquera plus tard. Edwin comprendra le magnifique orgueil de cette femme, et Hilda comprendra la force morale d’Edwin, son sérieux, la grandeur de son amour. Chacun se rendra compte qu’il n’a jamais aimé que l’autre et n’a jamais cessé de l’aimer, Qu’ils l’aient voulu ou non, et à leur insu peut-être, ils s’attendaient. Et le jour est venu, l’heure triomphante où elle lui dit : « Mon cœur n’a jamais donné de baisers à aucun autre ! Que de fois et de fois encore ne vous ai-je pas donné mes baisers, et vous ne l’avez jamais su !.. C’était comme un message que j’envoyais George ici, un message pour vous ! Je lui ai donné votre nom[1]... Pensez-vous que si les rêves pouvaient faire de lui votre fils, il ne serait pas à vous ? » Dix ans d’attente, dix ans d’épreuves, ce ne fut pas trop pour celui qui put entendre, pour celle qui put dire de telles paroles. Et après les

  1. L’enfant s’appelle George-Edwin.