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couramment de leur respect des croyances religieuses, et les conservateurs répudient toute intrusion indiscrète de la religion dans la politique ; au cours des débats parlementaires, les préférences de personnes l’emportent sur les considérations de parti. De là, bien des complications qu’il est malaisé au témoin étranger de débrouiller, et parmi lesquelles les leaders espagnols eux-mêmes ne sont pas toujours très sûrs de leur direction. L’usage s’était établi d’un roulement ministériel entre les représentans des deux groupes ; c’est à peu près ce que les Portugais appelaient, sous le roi Carlos, le système rotatif. De loin seulement, il était possible de confondre ce balancement avec celui des partis anglais, L’Espagne n’est pas encore un pays d’opinion largement instruite ; mais elle s’y achemine sous nos yeux, et c’est une des raisons pour lesquelles le système rotatif, partage alterné du pouvoir et de ses profits entre un petit nombre de politiciens spécialistes, cesse d’être applicable chez elle.

Libéral jusqu’au radicalisme, disait-on, prêt à toutes les audaces, José Canalejas fut premier ministre, depuis février 1910, pendant près de trois ans ; il exerçait encore le pouvoir, malgré l’acharnement des adversaires et des « remplaçans, » lorsqu’il tomba sous les coups d’un assassin (12 novembre 1912). En fait, cet homme, que les femmes de Valence recevaient jadis comme un Messie, étendant leurs manteaux sous ses pas, qui avait annoncé de grandes nouveautés sociales et religieuses, a paru surtout s’abandonner aux circonstances ; ses plus larges concessions aux idées avancées n’allaient pas au delà d’un flirt parlementaire avec les républicains, pendant que le Cabinet, de notoriété publique, était soutenu par M. Maura et les conservateurs. Ces alliances disparates ne laissaient aux républicains, lors des élections de 1910, qu’une quarantaine de sièges ; mais elles tenaient à l’écart des fonctions actives M. Moret, chef libéral dissident, fils de commerçant, universitaire, ancien ambassadeur à Londres, admirateur quelque peu doctrinaire de la constitution anglaise, et que son humeur prédisposait aux duretés plutôt qu’à la souplesse des intrigues. Canalejas assassiné, Moret emporté quelques jours plus tard par la maladie, le parti libéral semblait compromis, tandis que M. Antonio Maura avait réussi, au prix d’une fausse sortie, à resserrer autour de lui le faisceau du parti conservateur.

L’instant était-il donc venu, pour celui-ci, de ressaisir le