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ESQUISSES MAROCAINES.

soudaine avec laquelle vous sera révélé le mystère des bouches closes et des voiles de sépulcre.

Ici, dans le petit douar où croît un arbre, où jaillit une petite source, c’est la plus humble vie, mais c’est la vie. Le triste haïk tombe et cela fait plaisir de voir le visage qui parle, les yeux bordés de kohl, pleins de feu, les mains maigres où s’entre-croisent des dessins bleus et qui tout de suite se joignent tandis qu’une voix tremblante vous explique la misère du pauvre. Autour de la chèvre qui broute l’herbe rare, les enfans grouillent, petits lézards heureux et paresseux, dorés de soleil. Appelez-les ; à leurs cous, à leurs poignets, à leurs chevilles sonnent, comme les grelots aux cous des chevraux, les amulettes. Et si vous touchez, étonné, sur les petits cous grêles les cornes noires, les boules de plomb, les petites loques bariolées pendues aux ficelles, la mère parlera : elle vous dira avec une gravité inquiète : « C’est pour conjurer le diable, le méchant. » Joignant ses mains, fermant ses yeux, les lèvres entr’ouvertes, elle vous expliquera : « J’ai peur, je me défends. « Un à un, vous toucherez ses chapelets de grains noirs, les boules de plomb et d’étain, la petite ficelle rouge où pend un chiffon roulé en boule que vous déplierez et, sur le chiffon, vous lirez une lettre, une seule ! Toute la campagne et la petite ville ont retenti des noms d’Allah et de Mahomet aux heures où les hommes musulmans sont en prières. Mais ici, sous les toits pointus où se déroule la vie de la famille, vous êtes entré dans le royaume des esprits, les enfans sont leurs créatures ; ils portent leurs insignes ; pour hochets, ils ont les talismans. Qui donc règle les hasards de la vie incertaine, sinon les djnoum auxquels il faut rendre sortilège pour sortilège, conjuration pour conjuration ? Dans le recommencement régulier des matins et des soirs, l’homme recommence sa prière régulière ; il a lié son âme à leur rythme impassible, mais sa destinée lui apparaît sujette au hasard et pleine de dangers, et, dans ce grand temple de la nature où, pour nos yeux, il a si souvent l’air d’un moine en extase, vite il a comme les autres bâti sa petite chapelle particulière, il a mis sur les autels, pêle-mêle, les saints, les diables, les esprits. Dans ce refuge, il a fait entrer tout ce qu’il possède ; l’enfant porte sur sa cheville mince l’anneau qui le lie mystérieusement à un esprit bienfaisant, et l’âne qui ronge patiemment l’écorce lisse de l’eucalyptus secoue aussi à son cou le talisman sur lequel est