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pour épargner à la reine la honte d’être menée en triomphe, lui avait envoyé la coupe empoisonnée et libératrice. La pièce est conduite avec sûreté ; l’intérêt de surprise y est adroitement ménagé ; une certaine couleur sentimentale, qui n’est pas désagréable, est répandue sur l’ensemble ; plusieurs passages sont d’une versification de théâtre très suffisante. La tragédie ainsi comprise est plus près de la tragédie du XVIIIe siècle que de celle du XVIIe, et fait songer à Voltaire plus qu’à Racine, mais est très honorable encore et très digne du succès de grande estime qui vient d’accueillir l’œuvre de M. Poizat.

Sophonisbe a été montée avec grand soin et elle est interprétée par tous les chefs d’emploi. Mme Bartet a joué le rôle écrasant de la reine de Mauritanie avec beaucoup d’émotion et détaillé certains morceaux comme elle seule sait le faire. M. Mounet-Sully a bien rugi son rôle de vieux lion du désert. M. Albert Lambert, superbement costumé en chef arabe, tunique blanche, manteau noir et turban, a trouvé dans le personnage de Massinissa un de ses meilleurs rôles.


Il n’est pas besoin d’être très versé dans le langage des fleurs pour savoir ce que dit la rose rouge. Cette fleur au coloris ardent symbolise ce qu’on est convenu d’appeler la passion et qui est, tout uniment, l’amour des sens. La passion sous cette forme violente et rudimentaire n’est qu’une manifestation de l’instinct. Cela fait qu’elle étonne et détonne dans notre société civilisée ; et cela explique qu’elle soit, comme tout ce qui procède de l’instinct, aveugle et irrésistible. « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée ! » dit Racine. « C’est la f...atalité ! » disent Meilhac et Halévy. Ceux sur qui s’abat le mal sacré le subissent en dépit qu’ils en aient, quoi qu’il leur en coûte et quoiqu’ils en souffrent. Ils se débattent, comme la Pythie, quand son dieu s’emparait d’elle, mais pour être toujours et fatalement vaincus. Alors ils commettent, malgré eux et sans pouvoir s’en empêcher, des actes abominables, dont ils sont les premiers à avoir horreur. Ils s’en accusent, ils se détestent, ils se frappent la poitrine, ils endurent le martyre. Et tout de même, à céder, à se mépriser, à souffrir ils éprouvent une intime jouissance, s’enivrent de leur supplice et tirent de leur défaite un prodigieux orgueil...

La passion, telle que je viens de la décrire, est très en faveur dans la littérature d’aujourd’hui, surtout dans la littérature dramatique. C’est elle qui a inspiré à M. Romain Coolus ses Roses rouges. Mais les pièces sur la passion sont comme la passion elle-même : il faut les subir comme un accès de folie. Si l’auteur a l’imprudence de nous