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autrefois, conjurait Bernier de renoncer à toute vaine recherche spéculative, s’épouvante à l’idée que le susdit bourgmestre risque d’emporter avec lui dans la tombe l’inappréciable secret de cet argument nouveau qu’il se fait fort d’avoir inventé :


Je m’étais flatté de l’espérance que vous m’auriez fait tenir, dans votre dernière lettre, la preuve de l’unité de Dieu qui est venue dans l’esprit de ce grand et savant homme, pour qui j’ai un singulier respect. Je désire beaucoup de la voir. Les arrangemens a priori pour démontrer que l’Être éternel et indépendant est unique sont d’une si grande importance, dans ce point fondamental, que j’espère être excusé si je m’adresse pour cela à la personne qui est peut-être la seule dont on puisse les attendre. Sa grande capacité, la justesse et la pénétration de son esprit m’engagent à espérer de lui ce que, peut-être, je chercherais en vain autre part. Je vous prie donc, monsieur, de me faire la grâce de lui demander de ma part ce qu’il a pensé sur ce sujet, ou du moins un court extrait de son raisonnement ; et je m’imagine que vous ne ferez pas difficulté de lui être caution pour moi que, comme je ne demande cette grâce que pour ma propre satisfaction, je n’en ferai aucun autre usage qu’autant qu’il me le permettra. Je ne le presserais peut-être pas avec tant d’importunité, n’était que j’ai appris que, depuis peu, il a été quelquefois malade. L’appréhension de ce qui pourrait arriver a réveillé mes désirs.


Mais le sujet principal des lettres de Locke à Philippe van Limborch est d’un ordre tout différent. Ce van Limborch était, comme je l’ai dit, l’un des chefs de cette secte hollandaise des Remontrans, qui, au grand scandale de l’orthodoxie calviniste, rejetait aussi bien l’autorité de Calvin que celle des anciens Pères, et prétendait n’appuyer sa foi que sur la seule lecture de la Bible, — sauf même à ne voir déjà, dans celle-ci, qu’une source supérieure d’enseignement moral. Pour van Limborch et surtout pour son célèbre confrère et ami Jean de Clerc, peu s’en fallait que Jésus lui-même se réduisît à n’avoir été qu’un prophète, envoyé de Dieu afin de nous diriger dans notre conduite pratique. Et comme, naturellement, cette audace théologique des Remontrans les avait plus d’une fois exposés à maintes vexations de la part de l’Église officielle, il n’est pas étonnant que Locke, au moment où la disgrâce de son « patron » Shaftesbury l’avait contraint à s’exiler en Hollande, eût trouvé en eux des apôtres zélés de la tolérance. Aussi est-ce avant tout de ses propres efforts en faveur de la tolérance qu’il entretient, ensuite, son ami hollandais, lorsque l’avènement au trône de son nouveau protecteur, Guillaume d’Orange, lui a permis de revenir librement dans son pays. Ses lettres à von Limborch nous offrent, par là, un intérêt historique plus