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pas à hésiter : la politique d’entente devait prévaloir. C’était une obligation pour nous ; c’en était une aussi pour l’Espagne. On l’a compris de part et d’autre avec une égale intelligence et on a agi avec une égale bonne foi. Pourtant longtemps, trop longtemps, et alors même que l’entente était à peu près établie entre les deux gouvernemens, leurs agens ont continué sur place à se faire la petite guerre qui était dans les traditions. Il fallait mettre fin à ces vieux erremens et on l’a fait. Les deux corps d’occupation militaire s’ignoraient, pour ne rien dire de plus : on a senti l’intérêt qu’ils avaient à se connaître et, tout en gardant, bien entendu, la parfaite indépendance et l’absolue liberté de leurs mouvemens, à se rendre d’une zone à l’autre certains services qui facilitaient leur tâche. Il ne fallait pas, par exemple, que les Marocains insurgés dans une zone pussent croire, après y avoir été battus et pourchassés, qu’ils trouveraient un refuge dans l’autre. En pareille matière, le droit de suite ne saurait être contesté en principe, mais, en fait, comment pourrions-nous l’exercer chez les Espagnols, et comment les Espagnols pourraient-ils l’exercer chez nous ? Il convenait donc de s’entendre sur les mesures à prendre pour assurer, ici et là, l’efficacité de la répression. Nous citons ce cas, nous pourrions en citer d’autres, et on verrait dans tous à quel point l’entente entre voisins est ici utile et nécessaire. Aussi ne saurait-on se méprendre sur l’importance du voyage que le général Lyautey a fait à Madrid où il est arrivé deux ou trois jours avant M. Poincaré. Le général a eu une longue conversation avec le Roi ; le secret en a été bien gardé ; mais on ne risque rien à croire que les questions pendantes y ont été traitées et les solutions futures préparées.

Pour la suite, que faut-il penser de l’intimité si heureusement rétablie entre l’Espagne et nous ? Nous en pensons précisément ce qu’en pensent les hommes d’État espagnols dont l’opinion a le plus d’autorité et par exemple M. le comte de Romanonès, président du Conseil, qui, dans plusieurs interviews, s’est exprimé sur ce point en toute franchise. Il y aurait des inconvéniens à aller trop vite et trop loin et à donner plus de place, dans nos vues politiques communes, à l’imagination qu’au sens pratique des réalités. N’a-t-il pas été question, dans quelques journaux, d’une « alliance » entre l’Espagne et nous ? C’est pour le moins prématuré. Il est possible que d’autres circonstances, dans un avenir encore inconnu, donnent à notre rapprochement une forme qui pourra mériter cette appellation ; mais, pour le moment, une alliance, qui est toujours une diminution de leur liberté pour les pays qui s’y engagent, serait sans doute inutile, et on a dit