Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

«... Mais où est notre idéal ? Il est écrit : le cœur de l’homme est là où est son trésor. Où est notre trésor ? N’est-ce pas dans les coffres du banquier juif ? Là est notre cœur, tout comme le cœur du Sémite. Le mal est que nous n’avons plus ni foi ni enthousiasme ; nous ne savons trop que croire, ni de quel idéal nous éprendre... Notre monde moderne ne croit plus qu’à la richesse. Et cette foi au dieu dollar, ni l’Europe, ni l’Amérique, n’ont eu besoin qu’elle leur fût prêchée par des apôtres de Judée[1] ? » Cette phrase d’Israël chez les nations résume l’idée qui inspire la série d’articles, non réunis en volume, parus dans la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1894 au 15 janvier 1898 ; ils constituent sous ce titre : Le règne de l’argent, comme un complément, une suite d’Israël chez les nations. Anatole Leroy-Beaulieu veut y démontrer que la toute-puissance du dieu Mammon, à notre époque, n’est pas le fait des Juifs, mais bien la conséquence d’une double transformation : transformation économique qui a amené la prépondérance de l’industrie et de la richesse mobilière ; transformation politique qui a amené l’établissement des régimes démocratiques qui toujours aboutissent, « au moins pour un temps, à la royauté de l’argent. » Elle est aussi et surtout la conséquence de l’affaiblissement de la foi et de l’abaissement de la moralité. Juifs et chrétiens sont entraînés par le même courant d’incrédulité, d’amour du luxe et des jouissances ; ils aiment également l’argent, « lettre de change sur toutes les voluptés. » Le vieil idéalisme juif disparait comme le grand renoncement chrétien : « le juif a oublié son Messie et le chrétien ne se souvient plus de son Sauveur. » « La soif dévorante, la soif diabétique de l’argent » est la caractéristique de nos sociétés démocratiques. « La démocratie enfante la ploutocratie. Quel remède à cette décadence des mœurs publiques ? Ce n’est pas l’intervention de l’État ; l’étatisme ne fait que développer le mammonisme... La loi est chose morte ; elle n’a point en elle de principe de vie. Elle n’a jamais arrêté la décadence des nations. Tolstoï et les mystiques ont raison, à travers toutes leurs outrances ; ni l’Etat, ni la loi, ni même la science n’ont de quoi fermer les plaies de nos sociétés. Le remède efficace est au dedans de nous, dans la rénovation morale. » Ce mai des sociétés contemporaines est un

  1. Les doctrines de haine, p. 328.