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I


Paris, ce 5 juin 1861.

Madame la Comtesse, Mme de Montalembert a eu l’honneur de vous attendre samedi, 25 mai, comme nous en étions convenus : nous ne nous expliquons pas comment on a pu vous dire qu’elle était à la campagne, car elle avait elle-même écrit votre nom dans le livre du concierge pour qu’il vous laissât monter sans difficulté. Elle est désolée de ce contretemps et vous supplie d’excuser l’erreur, bien involontaire de sa part, qui l’a privée de la satisfaction qu’elle aurait éprouvée à vous revoir. C’est encore ma femme, mais cette fois bien involontairement, qui m’empêchera d’avoir l’honneur de vous rencontrer à Vienne, selon les indications si précieuses que vous me transmettez avec tant de bonté. Elle a voulu m’accompagner pendant mon voyage d’Allemagne et ma fille aussi. Comment refuser à d’aussi impérieuses volontés l’accomplissement d’un vœu aussi légitime ? J’ai dû m’y conformer : mais comme Mme de Montalembert voulait encore et devait absolument aller voir en Belgique une vieille tante, la dernière qui reste de son nom, il m’a fallu encore attendre son retour. Nous voici réunis, et nous partons demain, jeudi ; mais comme je ne puis pas traverser Munich sans m’y arrêter, nous ne pourrons être à Vienne que le 10 au plus tôt. Pardonnez-moi ces ennuyeux détails et laissez-moi espérer que quelque heureux obstacle aura retardé votre départ de Vienne fixé au samedi 8. Combien je jouirais d’apprendre que vos projets ont été dérangés, comme les miens ! Pardonnez-moi cet égoïsme qui me semble devoir être absous à vos yeux par mon empressement à vous revoir. Si je n’ai plus le bonheur de vous retrouver à Vienne, pourrai-je aller vous présenter mes hommages à Neutra ? Permettrez-vous à ma femme et à ma fille de m’accompagner ? Oserais-je vous prier de me répondre à ce sujet avec la plus entière franchise ? S’il en devait résulter le moindre dérangement pour vous, je serais inconsolable, tandis que je serais tout consolé, si la simplicité et la sincérité de votre réponse viennent me prouver que je ne me suis pas abusé en comptant sur votre indulgence à mon égard.

Je suis très confus de prendre ainsi tant de liberté avec vous, Madame la Comtesse, que j’ai à peine vue ; mais nous avons tant de sympathies et tant d’amitiés communes que je me sens