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passive, et tenter ensuite un assaut fructueux. Comme dans les incendies de brousse qu’il avait vus au Tonkin, la ligne de feu gagnait en effet les crêtes encore obscures ; elle fermait le cercle autour du bivouac et, sur des cimes abruptes, qu’on aurait crues inaccessibles, des grappes lumineuses apparaissaient enfin dans un tumulte de cris et de sifflemens.

« Ce serait un petit Sedan, s’ils avaient de l’artillerie, conclut Imbert. Mais, malgré le clair de lune, ils font plus de bruit que de mal. » Pointis protesta : « Cependant, les infirmiers et les médecins ne sont pas inactifs. — Sans doute. Mais, en réalité, nos pertes sont légères. » A ce moment, un agent de liaison apporta de nouveaux ordres, et Pointis s’éclipsa pour aller observer le bivouac.

Sur une pente douce, assis au milieu de son état-major déférent, le colonel fumait paisiblement sa pipe en épiant les progrès de l’ennemi. Pointis entendit au passage un » ça finira très bien, » qui le réconforta d’une confiance joyeuse. L’appréhension qu’il avait éprouvée dès les premiers coups de feu était depuis longtemps évanouie. Sur le sol que labouraient les balles il marchait allègrement, et son âme s’exaltait du danger impunément bravé. Il se jugeait ridicule en songeant qu’il s’était d’abord courbé peureusement pour franchir à toute vitesse les espaces découverts, et il ressentait une vanité puérile en parcourant sans précautions, d’un pas nonchalant, un terrain où régnait la mort. Ses facultés intellectuelles avaient acquis une extraordinaire acuité. Ses yeux et son cerveau enregistraient avec précision les moindres détails du spectacle auquel il assistait. Il se louangeait sans réserves d’avoir la bravoure solitaire dans la nuit, et il se prit à murmurer : « C’est beau, la guerre, puisqu’elle procure dételles sensations !»

Devant lui, maintenant, les zouaves aplatis au bord de leur talus exécutaient, comme à la manœuvre, sur des objectifs incertains, des feux de salve impeccables. Pointis s’attarda un instant à calculer en vain le résultat de leur tir, puis il se dirigea vers l’Ambulance où convergeaient des brancardiers qui se coulaient comme des crabes dans les plis du terrain. Mais soudain il s’arrêta, ébahi. Simultanément, des mitrailleuses « déchiraient la toile » et des obus coiffaient les rochers où les lueurs plus denses de la fusillade venaient de révéler des groupes compacts d’ennemis. « Ils vont sans doute devenir plus prudens