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de famille et que son cheval lui appartient. Vous ne verrez donc pas, ici, des corps a corps enragés comme ceux qui ont causé la perte des Bonnier, des Fiegenschuh et des Moll, — pour ne citer que les plus connus. Toutefois, si une manœuvre en retraite, réglée comme une figure de ballet, peut vous intéresser, profitez de l’occasion. » Pointis accepta et suivit son ami qui dirigeait prestement sa troupe, par un vallon encaissé, vers la nouvelle position qu’elle devait occuper. Mais son esprit était obsédé par les récits impressionnans qu’il avait naguère entendus. Avec une inquiétude mal dissimulée il questionna : « Vous croyez donc pouvoir vous « décrocher » aisément ? » Imbert sourit : « Comment ! vous aussi, vous croyez aux histoires que les mots « accrocher, » « décrocher » résument dans ce pays de Tartarins ? Sachez donc que tout chef, quel qu’il soit, est « accroché, » s’il se laisse faire, et doit pouvoir « se décrocher » quand il veut. — Pourtant, quand on est chaudement engagé... — Vous m’amusez, mon cher, car vous récitez une leçon bien apprise. Une troupe n’est « chaudement engagée, » comme vous le dites, que si elle reste longtemps immobile, ou si elle se déplace avec lenteur, par petits bonds exécutés homme par homme, ainsi que je l’ai vu faire à nombre de théoriciens. L’immobilité ou la lenteur attirent les Marocains qui concentrent alors leur tir sur des adversaires inertes. Eux ne risquent pas grand’chose, car ils manœuvrent en vitesse, sur de grands fronts, en ordre mince ; mais nos sections, nos compagnies, nos groupes, quand ils sont empêtrés dans les procédés de tactique européenne, forment des cibles très vulnérables, et se trouvent presque toujours « chaudement engagés. »

La troupe, maintenant, quittait le thalweg où elle masquait son mouvement, pour s’installer avec précautions sur une ligne de faîte où elle semblait se tenir à l’affût. Les Marocains, occupés à se garer des obus que l’artillerie faisait de loin pleuvoir sur leurs rochers, n’avaient pu éventer cette manœuvre qui plaçait le groupe d’Imbert comme une muraille à l’arrière du convoi. Ils s’en aperçurent trop tard, et leur déception se traduisit par une fusillade intense, mais à peu près inoffensive.

« Ça y est ! les figurans sont en place ! » dit Imbert qui venait d’expédier ordres et comptes rendus. Nous resterons ici le temps nécessaire pour que l’ambulance et le convoi puissent gagner assez de champ. » Du mamelon où il s’était assis avec