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— Sans doute, mais, quand les troupes seront dispersées, ils se plaindront de la dureté des temps. Et quand les véritables colons viendront dans ce pays pour y tenter de véritables affaires, les indigènes leur préféreront les juifs qui parlent leur langue, qu’ils connaissent, et dont ils sont connus. — Absolument comme en pays annamite, où les Français ne peuvent rien sans l’intermédiaire du compradore chinois. Pourtant, nos progrès de militaires ne sont pas tellement rapides que vous autres civils, pour qui nous travaillons, ne puissiez faire en même temps la conquête économique du Maroc. »

Imbert faisait allusion à l’inertie apparente de la colonne, qui inspirait les critiques acerbes des officiers et les gouailleries des soldats. Cependant cette inertie apparaissait peu à peu aux dissidens comme une menace énigmatique et redoutable. Les plus prudens et les moins résolus, lassés de leur sort incertain, songeaient à celui de leurs frères qui avaient déjà obtenu l’aman. Ils connaissaient les bénignes conditions de la paix ; ils savaient les fabuleux profits que laissaient les fournitures de bois, les ventes de bœufs et de moutons. Ils n’espéraient même plus conserver intacts leurs silos, car le chef des Renseignemens faisait servir les rivalités de tribus à la découverte des mers. Et soudain le mouvement des soumissions se déclancha. Pendant une semaine, le va-et-vient des parlementaires égaya le camp. Pendant une semaine, chaque jour les curieux assistaient au retour de nouveaux douars. En vain les irréductibles encore nombreux essayaient-ils de s’y opposer. Quelques coups de fusil, un obus bien dirigé, une fantasia de spahis et de chasseurs d’Afrique suffisaient pour faire disparaître leurs guerriers dans les gorges sauvages où les téméraires de la colonne, seuls, proposaient de les poursuivre. Car ils étaient jaloux des exploits accomplis au delà de l’Oum-er-Rbia par les troupes que le colonel Mangin menait à la conquête de Marrakech. Ils comparaient les courses folles derrière les cavaliers d’El Hibba aux besognes sans gloire où s’émoussait leur ardeur, et ils rêvaient d’inscrire sur les bords de l’Oued Grou un nom aussi prestigieux que celui de Bou-Othman.

Mais, un soir, Merton remarqua dans le quartier de l’état-major l’agitation bourdonnante qui précède les grands événemens. Il avait des intelligences dans la place et il courut s’enquérir du mystère qui planait sur le bivouac. Ce qu’il apprit le