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Le lendemain, au point du jour, l’exode commençait. Il n’avait pas été possible d’emporter avec le convoi le stock énorme de vivres et de matériel qui s’était amoncelé dans le parc des Subsistances. L’ambulance elle-même s’était dédoublée pour laisser en repos, jusqu’à la prochaine évacuation, les malades nombreux qui geignaient sous ses marabouts. Un détachement gardait ces inévitables impedimenta, et la colonne réduite à ses élémens mobiles s’ébranlait pour aller occuper le plateau de Sidi-Kaddour. Un poste devait s’y dresser sur les confins du pays zaër jusqu’alors ruiné par l’anarchie dans l’indépendance, comme un témoignage de l’avènement des temps nouveaux.

Après deux heures de marche, la colonne s’arrêta. L’avant-garde était arrivée sur une ligne de faite où elle se dissimulait derrière des rochers. L’état-major semblait observer avec précaution, et des chasseurs d’Afrique galopaient en estafettes de tous côtés. Les troupes abandonnaient la piste, se glissaient à travers les crêtes et les vallons pour occuper une ligne immense. L’artillerie se faufilait vers les positions dominantes, où ses canons de 65, écrasés par la masse des blocs énormes qui les abritaient apparaissaient à distance comme des joujoux d’enfant. L’arrière-garde se massait avec le convoi dans un bas-fond. Nul cri, nulle détonation ne s’étaient encore fait entendre, mais Pointis, qui s’attardait dans un examen de cailloux, comprit que la colonne prenait un dispositif de combat. Il ne voulut rien perdre du spectacle et, dédaigneux de la géologie, il courut vers l’avant.

Du poste où il s’était placé, le paysage s’étalait devant lui, lugubre, malgré la couleur éclatante dont le parait un soleil prestigieux. Dominant comme une falaise le confluent de deux vallées qui l’entouraient, un plateau bas, pierreux, était semblable au piédestal cyclopéen d’une ville écroulée. Des blocs gigantesques couvraient le sol dont la chaleur de l’été avait depuis longtemps flétri la fugitive parure de gazon et de fleurs. Des massifs isolés se dressaient çà et là comme des vestiges de tours ; des aiguilles perçaient les amoncellemens informes, évoquant les piliers intacts de temples foudroyés. Seule la tache blanche d’une koubba neuve scintillait au loin dans la grisaille des grès. Ce chaos de roches figé dans un silence de mort et sur qui semblait peser une malédiction biblique faisait songer à la fin des âges dans les mondes éteints.