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Rassuré, le colonel ordonna pour le soir même les détails de la cérémonie.

Tandis que ses officiers piquetaient avec soin l’enceinte du nouveau poste et que les soldats édifiaient en toute hâte le mur de pierres sèches qui devait les abriter, Imbert cherchait aux environs le futur champ du repos éternel. Il le trouva sans peine. Un terrain doucement incliné s’étendait au pied d’une falaise imposante dont l’ombre couvrait le sol d’une douce fraîcheur. Des cascatelles de plantes vertes jaillissaient entre les crevasses de roches qu’elles paraient d’une grâce austère, et les blocs qui semblaient entassés par des titans faisaient un cadre grandiose au lopin de terre où devaient dormir les morts. Ecrasé par cette majesté sereine, Imbert se recula pour mieux voir. Très haut, minuscules et agités, ses hommes se détachaient sur le ciel où se découpaient en ombres chinoises leurs gestes menus. Devant lui, tissé par l’humidité des nuits, un épais tapis d’herbe où frissonnaient des palmiers nains cachait la terre noire et le pied des rochers : « Ils seront bien, là, » murmura-t-il, après une longue rêverie et, le cœur gros d’une tristesse lourde, il alla donner ses ordres aux fossoyeurs.

Au coucher du soleil, une foule immense et recueillie entourait les trois tombes creusées dans le sol vierge. Les morts, enveloppés dans des couvertures brunes qui plaquaient sur leurs formes rigides, étaient étendus au bord des trous béans. Quelques goumiers et quelques tirailleurs, sorciers ou marabouts, plaçaient au fond, avec des gestes compassés, les pierres rituelles qui devaient servir de couche funèbre à leurs camarades musulmans. Des soldats serraient avec émotion la croix et les couronnes rustiques dont ils allaient parer le tumulus de celui qui était de leur race. En termes d’une sobre éloquence, les capitaines des défunts avaient rendu hommage à leur bravoure et donné leur fin glorieuse comme exemple aux vivans.) Les Marocains et les Sénégalais tournaient déjà vers l’Orient, avant de les descendre sur leur lit souterrain, les corps du goumier et du tirailleur, et les Européens s’apprêtaient à jeter sur la tombe du marsouin la pincée de terre du dernier adieu, quand le colonel s’avança au milieu du cercle en faisant de la main un signe qui fut aussitôt compris. Chacun se figea, et la voix du chef s’éleva dans un silence religieux :

« Ce n’est pas, dit-il, un hasard aveugle qui a choisi les victimes