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présage ; elle en parle dans sa première lettre à la jeune Reine, écrite avec une effusion qu’elle ne retrouvera plus : « Tout l’univers est en extase ; il y a de quoi : un roi de vingt ans et une reine de dix-neuf ans, toutes leurs actions sont comblées d’humanité, générosité, prudence et grand jugement... Qu’il est doux de rendre les peuples heureux, fùt-il même seulement en passant ! Que j’aime en cet instant les Français ! Que de ressources dans une nation qui sent si vivement ! Il n’y a qu’à leur souhaiter la constance et moins de légèreté ; en rectifiant leurs mœurs, cela se changera aussi. La générosité du Roi, pour Trianon, qu’on dit la plus agréable des maisons, me fait grand plaisir... » Mais, presque aussitôt, la « vieille maman » a le pressentiment des dangers qui peuvent naître. Ce sont les engouemens de sa fille qui l’inquiètent et aussi l’amour des futilités, qu’on peut redouter de voir grandir : « Je crains ce point pour vous plus que tout autre. Il faut absolument vous occuper de choses sérieuses, qui peuvent être utiles, si le Roi vous demande votre avis ou vous parle en amie. Ne le menez pas dans des dépenses extraordinaires ; que ce charmant premier don du Roi ne serve pas à faire de trop grandes dépenses, encore moins de dissipations... » La petite reine se défend bien de toutes ces gronderies : « Ma chère maman peut compter que je n’entraînerai pas le Roi dans de grandes dépenses ; bien au contraire, je refuse de moi-même les demandes qu’on me prie de lui faire pour de l’argent. » Elle ne refusera pas toujours, et Trianon même sera bientôt l’occasion de profusions qui lui seront cruellement reprochées.

En souhaitant un jardin qui fût son domaine particulier et où elle pût jouer à son gré avec les fleurs et les arbres, Marie-Antoinette montrait un goût qui était celui de son entourage. Marie Leczinska ne s’était pas avisée de ce genre de distraction ; mais déjà ses filles, à l’imitation de Mme de Pompadour, se flattaient de transformer à leur guise le parc de Bellevue, que Louis XV venait de leur donner. Le Comte de Provence ne possédait pas encore Brunoy, ni le Comte d’Artois, Bagatelle ; mais ils se faisaient peindre par Drouais, chacun avec sa princesse, en costume de jardiniers galans, et les progrès de l’horticulture ne laissaient pas de les intéresser. C’est que, jusque dans l’éducation des princes, se faisait sentir ce renouveau des sciences de la nature, dont le Trianon botanique de Louis XV nous