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va faire son choix. Le spirituel Essay on modern Gardening, où Horace Walpole s’afflige de la perversion du goût en France, est de 1770. Le duc de Nivernais en publiera plus tard la traduction ; mais celle du théoricien Whately a paru dès 1771, à Paris, sous ce titre : l’Art de former les jardins modernes ; et beaucoup de lecteurs français s’attachent à l’ouvrage de doctrine. Dissertation on Oriental Gardening, où l’architecte des jardins de Kew, sir William Chambers, a résumé en 1772 ses souvenirs de voyage en Chine et les observations de toute sa vie relatives à la supériorité des jardins chinois sur ceux de l’Europe. Déjà le créateur d’Ermenonville, M. de Girardin, ayant appliqué ses idées d’élève de Chambers et de Jean-Jacques, se prépare à les répandre dans son livre : De la composition des paysages ou des moyens d’embellir la nature autour des habitations ; on y lira que, « l’esprit étant devenu moins rare que le sens commun, il n’y a plus que la nouveauté qui puisse frapper les hommes ; le moment où, à force de s’en écarter, ce qu’il y a de plus nouveau pour eux, c’est la nature, est le moment de les y ramener en les conduisant à en connaître et à en sentir tous les charmes. » Voici maintenant des travaux français exactement contemporains des projets de Marie-Antoinette. L’Essai sur les jardins de Watelet s’imprime en 1774 ; Lerouge commence la même année la publication de sa collection de plans gravés sur les Jardins anglo-chinois à la mode ; l’important traité du botaniste Duchesne Sur la formation des Jardins est de 1775 ; celui de Morel, architecte du prince de Conti, Théorie des Jardins, est de 1776. Tous reflètent les idées modernes et leur donnent une consécration définitive.

Au reste, pour former le goût des gens de cour, rien ne vaut les entretiens de Walpole, et surtout ceux du prince de Ligne, ce très grand seigneur répandu dans les cercles les plus divers, qui applique aux jardins de l’Europe entière sa curiosité avertie. Plus instruit que Walpole, le prince du Saint-Empire est porté comme lui à la satire ; mais sa sensibilité est beaucoup plus fine. Sans afficher l’anglomanie, en protestant même contre ses excès, il s’est faille champion du jardin naturel, et c’est d’abord la France, sa seconde patrie, qu’il lui plaît de convaincre : « C’est à elle, écrit-il, à l’emporter sur tout et dans tous les genres. A force d’épuiser les arts, qu’on revienne à la nature. Je parie que le jardin de Montaigne était naturel