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Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/177

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au duc d’Orléans, Ermenonville, au marquis de Girardin, Bâville, à M. de Lamoignon, Maupertuis, au marquis de Montesquieu a Delille met à part les jardins de Boutin à Tivoli, sur les pentes de Montmartre, dont il désigne ainsi l’importance historique :


L’aimable Tivoli d’une forme nouvelle
Fit le premier en France entrevoir le modèle ;


il énumère la maison de M. de Monville, au Désert, sur le bord de la forêt de Marly, celles de la comtesse de Brionne à Limours, de la comtesse de Boufflers à Auteuil. Malgré leur éloignement de la capitale, il ne veut point omettre Chanteloup, illustré par son glorieux exilé, ni Belœil, « tout à la fois magnifique et champêtre, » et il saluera dans un autre chant le princier Monceau et le rustique Moulin-Joli. Un mot charmant (« Les Grâces en riant dessinèrent Montreuil ») suffit à caractériser le jardin créé par les Guéméné aux portes de Versailles, et que Louis XVI, après leur fameuse banqueroute, achète pour sa sœur, Madame Elisabeth ; puis, avant de finir par un compliment à l’aimable maître de Bagatelle, le Comte d’Artois, le poète offre à sa souveraine trois vers comme un bouquet :


Semblable à son auguste et jeune déité
Trianon joint la grâce avec la majesté.
Pour elle il s’embellit, et s’embellit par elle.


L’abbé Delille n’est pourtant point le poète du jardin de la Reine. Ce n’est pas non plus Lebrun-Pindare, qui proclame seulement, dans son ode sur les paysages, que la « pompe étonnée » de Versailles « cède aux grâces de Trianon ; » mais c’est assurément le chevalier Bertin, le mieux doué, avec Parny, des rimeurs de poésies fugitives de l’école de Dorat. Le jeune écrivain vit à la Cour ; il est écuyer du Comte d’Artois, et Marie-Antoinette le protège. Que de fois dut-il être admis à Trianon pour en savourer si bien les « riches tableaux, » en connaître si complètement les détails, et précisément ceux qui devaient flatter le mieux l’amour-propre de la créatrice ! Il donne à l’Almanach des Muses de 1780, puis aussitôt dans le recueil de ses Amours, une élégie intitulée Les jardins du Petit-Trianon. Elle débute par une allusion à Gluck, le musicien favori de la Reine :


J’ai vu ce désert enchanté
Dont le Goût même a tracé la peinture ;