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poète, aux yeux des Italiens, se précipite. Encore quelques erreurs, encore quelques échecs, et les autels du « divin Gabriel » seront définitivement abandonnés.

« Il est des dieux qu’il faut qu’on tue. « L’admirable romancier d’Il Piacere, le tragique superbe de la Figlia di Jorio, l’adorable poète des Laudi semble être désormais de ceux-là pour la majorité de ses compatriotes.

Je crois, je m’obstine à croire qu’en le traînant aux gémonies avec une telle ardeur et un tel ensemble, le public et les critiques de son pays lui font un tort immérité. Leur attitude n’en est pas moins singulièrement impressionnante. Fatalement, l’étranger se demande si l’admiration qu’il a pu ressentir pour M. Gabriel d’Annunzio n’était pas due à une contagion absurde, s’il n’a pas cédé à un entraînement général, inconsciemment sacrifié à une mode ou, comme on dit dans le jargon du jour, à un « snobisme. » Et l’on éprouve le besoin de relire, — à la lumière des critiques italiennes, — Gabriel d’Annunzio lui-même. Est-il vraiment ce dégénéré à peine supérieur, ce charlatan, ce comédien qu’en termes plus ou moins enveloppés et avec plus ou moins de ménagemens ses derniers scoliastes excommunient à qui mieux mieux ? Une lecture attentive de ses juges les plus sévères manifeste, à mon avis, à des yeux non prévenus, le parti pris évident de ces attaques. M. Gabriel d’Annunzio, homme privé, a fait beaucoup jaser, a trop fait jaser sans doute. Sa vie a été étalée au grand jour, et le public, après y avoir pris intérêt, a fini par en être excédé. Il est rare que les gens qui font trop parler d’eux ne finissent point par en faire parler mal. L’Italie se venge aujourd’hui par la médisance, par la calomnie de tant d’années de dévotion superstitieuse. M. d’Annunzio a suscité, surtout parmi les gens de lettres, des haines terribles. Un poète de ses rivaux n’est-il pas allé jusqu’à passer totalement sous silence son œuvre et même son nom dans une Histoire de la littérature italienne ?

Mais parce que ceux de son sang le méconnaissent et le déchirent, ce n’est pas une raison, encore une fois, pour qu’à l’étranger on suive cet exemple. Il y a des observations justes dans le copieux ouvrage que M. Gargiulo[1] vient de consacrer à M. d’Annunzio, comme il y a des pages ingénieuses dans la

  1. Alfredo Gargiulo, Gabriele D’Annunzio (Studio critico). Naples, Francesco Perella, 1912.